Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 30, 1854.djvu/405

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— J’ai peur, ma chère amie, qu’on n’étudie pas en France, autant qu’on le devrait, le grand mobile de la conduite humaine. Ce mobile, ce doit être toujours l’humilité. Sans l’humilité nous ne sommes rien, nous ne pouvons être chrétiens, nous ne pouvons aimer nos semblables comme nous-mêmes, nous ne pouvons même aimer Dieu, comme c’est notre devoir.

— Cette remarque est bien étrange, Anna, venant d’une personne de votre âge. Est-ce qu’en Amérique les jeunes filles sont dans l’habitude de raisonner et de penser de cette manière ?

— Peut-être pas ; quoique cela arrive plus souvent qu’on ne suppose. Vous vous rappellerez quelle mère j’ai le bonheur de posséder, et puisque vous désirez que je vous parle franchement, laissez-moi terminer ce que j’ai à vous dire. J’ai toujours trouvé que la meilleure manière de triompher de l’erreur, c’est de nous comporter avec humilité. Ah ! ma chère amie, si vous pouviez comprendre combien les humbles finissent par devenir forts, vous renonceriez à cette indépendance que vous aimez tant, et vous rechercheriez d’autres moyens pour assurer votre bonheur.

Mildred fut aussi frappée des circonstances dans lesquelles ce reproche ou ce conseil était donné que de l’avis lui-même. Il produisit néanmoins son effet, et Dunscomb venant en aide à sa nièce, cette singulière femme se défit peu à peu des idées exagérées qu’elle avait entretenues jusque-là au sujet de ses droits appliqués à ses devoirs.

Dunscomb eut plusieurs entrevues avec le vicomte qu’il trouva de plus agréable compagnie qu’il ne s’y attendait, quoique réellement il eût le tort de priser. Il l’instruisit des hallucinations mentales de sa femme, et ne lui cacha pas que c’était une maladie héréditaire. M. de Larocheforte convint qu’il s’était marié pour perpétuer sa race, et qu’il n’avait nulle envie d’avoir des enfants fous. Dunscomb le trouva raisonnable, et fit un arrangement avec lui au moyen duquel Mildred devint virtuellement maîtresse de ses actions. M. de Larocheforte accepta une bonne partie de la fortune, et ne se fit pas prier pour retourner en Europe, partie du monde plus agréable que notre heureux pays pour les personnes de sa condition.