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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 30, 1854.djvu/62

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— Obscurcir entièrement la justice, dit Mac-Brain, me paraît un mot un peu fort.

— Peut-être l’est-il ; mais obscurcir souvent, trop souvent, est un terme dont je puis justifier l’emploi. Tout être pensant voit et sent la vérité de cette opinion, mais voilà où est le côté faible d’un gouvernement populaire. On renforce les lois au moyen de la vertu publique, et la vertu publique, comme la vertu privée, est bien fragile. Nous admettons assez volontiers la dernière, pour ce qui regarde nos voisins du moins, tandis qu’il semble exister dans la plupart des esprits une espèce de vénération idolâtre pour le sentiment public.

— Vous ne méprisez pas, à coup sûr, l’opinion publique, Tom, et vous ne la dédaignez pas comme indigne de tout respect.

— En aucune manière, si vous parlez de cette opinion qui résulte d’un jugement réfléchi, et qui a des rapports directs avec notre religion, nos mœurs, nos manières. C’est là une opinion publique pour laquelle nous devons avoir de la déférence, quand elle est noblement produite, quand elle est nettement et librement formulée, surtout quand elle vient d’en haut, et non d’en bas. Mais le pays est plein de ce que j’appellerai une opinion publique artificielle, et dont un homme sage ne doit tenir aucun compte, s’il peut s’en empêcher. Voyez aujourd’hui notre manière d’administrer la justice. Douze hommes sont pris dans le sein de la communauté par une espèce de loterie ; ils siègent à part pour prononcer sur votre fortune ou la mienne, que dis-je ? pour proférer les terribles mots de coupable, ou non coupable. Tous les accessoires de ce plan, tels qu’ils existent ici, s’opposent à ce qu’il réussisse. D’abord les jurés sont payés, et cela, juste assez pour engager les derniers de la liste à exercer, pas assez pour retenir les hommes d’éducation et d’intelligence, qui préfèrent se laisser mettre à l’amende.

— Pourquoi ne remédie-t-on pas à un si flagrant ? J’aurais cru que tout le barreau aurait protesté contre cet abus.

— Quel en serait le résultat ? Qui se soucie, du barreau ? Les législateurs seuls peuvent changer ce système, et il faut que des hommes très-différents de ceux qu’on envoie maintenant aillent