au palais législatif, avant qu’on en trouve un assez honnête, ou assez hardi, pour se lever et dire au peuple que tous ne sont pas capables de cette mission. Non, non, ce n’est pas là la manière du jour. À vous dire vrai, Ned, l’État se soumet à l’influence des deux plus absurdes motifs qui puissent gouverner les hommes : l’ultra-réaction et l’ultra-progrès ; ni l’un ni l’autre ne sont appropriés aux besoins actuels de la société, et tous les deux sont pernicieux à son développement. Au milieu de ce conflit d’intérêts, le courant nous emporte, et tandis que les uns, par peur ou par indifférence, ne sont que spectateurs passifs du mouvement, les autres, partisans effrénés d’innovations, poussent au changement, avec l’arrière-pensée d’en profiter, du moment que les institutions seront aussi populaires que possible.
— Et n’est-ce pas la vérité ? La masse ne gagnera-t-elle pas à exercer le pouvoir autant qu’elle le peut ?
— Non ; et par la raison simple que dans la nature des choses les masses, ne peuvent exercer qu’une puissance très-limitée. Vous-même, par exemple, un de la masse, vous ne pouvez exercer le pouvoir de choisir un juge comme il doit l’être, et, par conséquent, vous êtes sujet à faire plus de mal que de bien.
— Le diable si je ne le puis ! Mon vote n’est-il pas aussi bon que le vôtre, ou que celui de qui que ce soit ?
— Par la raison bien simple que vous êtes complétement ignorant du sujet. Posez-vous vous-même la question, et répondez-y en honnête homme : voudriez-vous, pourriez-vous, avec les connaissances que vous avez, mettre le doigt sur un homme de ce pays, et dire : « Je vous fais juge ? »
— Oui ; je mettrais le doigt sur vous à la minute.
— Ah ! Ned, cela ira pour un ami ; mais ce choix serait-il judicieux s’il tombait sur un juge que vous ne connaissez pas ? Ignorant de la loi, vous devez nécessairement ignorer les qualités requises pour en être l’interprète. Ce qui est vrai de vous, l’est également de l’immense majorité de ceux qui sont aujourd’hui les électeurs de nos juges.
— Je ne suis pas peu surpris, Tom, de vous entendre, vous, parler dans ce sens ; car vous vous donnez pour un démocrate !