Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/107

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— Vous venez trop tard, répondit Ralph sans paraître ému ni surpris de cette apparition subite, et même sans lever les yeux de dessus la carte qu’il regardait si attentivement ; trop tard au moins pour prévenir de grands malheurs, sinon pour y puiser d’utiles leçons.

— Vous connaissez donc les mouvements secrets qui se préparent pour cette nuit ?

— La vieillesse s’endort rarement, dit Ralph en regardant pour la première fois Lionel, car la nuit éternelle qui l’attend lui promet un assez long repos. Et moi aussi, j’ai fait dans ma jeunesse l’apprentissage de votre profession sanguinaire.

— Vos observations et votre expérience vous auront sans doute fait découvrir les préparatifs de la garnison ; mais vous ont-elles appris aussi le motif et les conséquences probables de l’entreprise ?

— L’un et l’autre me sont connus : Gage s’imagine en coupant de faibles branches étouffer le germe de la liberté qui a pris racine dans tous les cœurs américains. Il croit pouvoir anéantir les sentiments énergiques et le patriotisme qui animent tous les esprits, en détruisant quelques magasins de munitions.

— Il ne s’agit donc aujourd’hui que d’une mesure de précaution ?

Le vieillard secoua la tête d’un air triste, et répondit :

— Ce sera une mesure de sang.

— Je compte accompagner le détachement dans cette expédition, dit Lionel ; il se postera probablement à quelque distance dans l’intérieur, et je trouverai peut-être l’occasion de prendre ces informations, qui, vous le savez, me tiennent si fort à cœur, et pour lesquelles vous m’avez promis de m’aider. C’est pour vous consulter sur la marche que je dois suivre, que je suis venu vous chercher.

Tandis que Lionel parlait, le vieillard pâlit, et parut perdre jusqu’à la faculté de penser : ses yeux vagues et hagards erraient sur les murs dégradés qui l’entouraient, puis sur la carte de géographie ; enfin ils tombèrent sur les traits de Lionel étonné, et y restèrent quelque temps fixés, mornes et immobiles comme le regard de la mort. Lionel se disposait à lui prodiguer des secours, lorsque tout à coup la vie parut reprendre son empire sur le vieillard, comme le soleil dissipe en un instant l’obscurité en sortant de derrière un nuage.