Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/20

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officier n’en dit pas davantage, et tous deux gardèrent le silence jusqu’au moment où la barque, étant arrivée au bout du long quai, jadis si vivant, et où il ne se trouvait alors qu’une sentinelle qui le parcourait à pas mesurés, s’avança vers le rivage, et s’arrêta au lieu ordinaire du débarquement.

Quels que pussent être les sentiments des deux passagers, en atteignant en sûreté le but d’un voyage long et pénible, ils ne les exprimèrent point par des paroles. Le vieillard découvrit ses cheveux blancs, et, plaçant son chapeau devant son visage, il sembla, rendre au ciel en esprit des actions de grâces de se trouver à la fin de ses fatigues, tandis que son jeune compagnon marchait avec l’air d’un homme que ses émotions occupaient trop pour qu’il pût songer à les peindre.

— C’est ici que nous devons nous séparer, Monsieur, dit enfin ce dernier ; mais à présent que nos relations communes sont terminées, j’espère que la connaissance que nous devons au hasard se prolongera au-delà du terme de notre voyage.

— Un homme dont les jours sont aussi avancés que les miens, répondit le vieillard, ne doit pas présumer de la libéralité de Dieu au point de faire des promesses dont l’accomplissement dépend du temps. Vous voyez en moi un homme qui revient d’un triste, d’un bien triste pèlerinage sur l’autre hémisphère, pour laisser ses dépouilles mortelles dans son pays natal ; mais si le ciel daigne m’accorder assez de vie pour cela, vous entendrez encore parler de celui que vos bontés et votre politesse ont si grandement obligé.

L’officier fut affecté du ton grave et solennel de son compagnon, et répondit en lui serrant sa main :

— Ne l’oubliez pas ! je vous le demande comme une faveur spéciale. Je ne sais pourquoi ; mais vous avez obtenu sur mes sentiments un empire que nul autre n’a jamais possédé ; c’est un mystère pour moi, c’est comme un songe ; mais j’éprouve pour vous, non seulement du respect, mais de l’amitié.

Le vieillard fit un pas en arrière, sans quitter la main du jeune homme, le regarda fixement quelques instants, et lui dit en levant lentement une main vers le firmament :

— Ce sentiment vient du ciel ; il est dans les desseins de la Providence ; ne cherchez pas à l’étouffer, jeune homme ; conservez-le précieusement dans votre cœur.