Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/260

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Lionel comprit pour la première fois la cause des variations qu’il avait remarquées dans la manière dont Cécile avait reçu ses soins jusqu’au moment où elle avait senti que son cœur s’intéressait à lui ; mais sans laisser apercevoir la découverte qu’il venait de faire, il lui répondit :

— La reconnaissance ne mérite pas un nom aussi dur que celui de méfiance, et ma vanité ne me permet pas de donner celui de faiblesse à une partialité qui m’est si favorable.

— Ce mot est juste, dit Cécile en souriant avec sa douceur ordinaire, et l’on peut s’en servir sans scrupule quand on l’applique à la pauvre nature humaine. Vous me pardonnerez peut-être de l’avoir employé, si vous songez que nos faiblesses sont quelquefois héréditaires.

— Je vous pardonne vos injustes soupçons en faveur de ce charmant aveu ; mais me permettez-vous de n’adresser à votre aïeule pour lui demander qu’elle consente à ce que nous soyons unis sur-le-champ ?

— Quoi ! vous ne voudriez pas qu’on chantât votre épithalame, quand il est possible que l’instant d’après le son d’une cloche funèbre vous appelle aux funérailles d’un ami ?

— La raison que vous faites valoir pour différer notre mariage, Cécile, est précisément celle qui m’engage à le presser. La saison s’avance, et il faut que cette guerre, qui n’a été jusqu’ici qu’un enfantillage, se termine. Howe rompra la barrière qui le retient, et chassera les Américains des hauteurs voisines, où il ira chercher un autre théâtre pour une guerre plus active. Dans l’autre cas, vous resteriez sans appui, à un âge où vous en avez encore besoin, dans un pays déchiré par des divisions intestines ; car votre vieille aïeule n’est plus en état de vous en servir. Assurément, Cécile, vous ne pouvez hésiter à vous mettre sous ma protection dans un tel moment des crise, et je pourrais même ajouter que vous le devez autant par égard pour vous-même que par compassion pour mes sentiments.

— Continuez : j’admire l’adresse de votre esprit, sinon la justesse de vos arguments. Je vous dirai pourtant que d’abord je ne crois pas que votre général trouve si facile de chasser les Américains des hauteurs voisines. Par un simple calcul arithmétique, que je suis moi-même en état de faire, vous devez voir que, s’il lui a coûté tant de monde pour s’emparer d’une seule de nos