Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/261

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montagnes, il serait obligé d’acheter bien cher la possession de toutes les autres. Ne prenez pas un air si grave, Lionel, je vous en supplie. Sûrement vous ne pouvez croire que je veuille parler avec légèreté d’une bataille qui a pensé vous coûter la vie, et… et… me coûter mon bonheur.

— Je vous dirai à mon tour : continuez, dit Lionel chassant à l’instant le nuage passager qui lui couvrait le front ; j’admire vos sophismes et votre sensibilité, sinon vos raisonnements.

Rassurée par sa voix et par ses manières, Cécile, après un moment d’extrême agitation, reprit la parole avec le même enjouement qu’auparavant.

— Mais supposons que votre général se soit rendu maître de toutes les hauteurs des environs, et que le chef des Américains, qui, quoiqu’il ne soit qu’un rebelle, sait pourtant se faire respecter, soit repoussé dans l’intérieur avec son armée, je me flatte que tous ces exploits se feront sans qu’on ait besoin de l’assistance des femmes. Et si Howe transportait ailleurs ses forces, comme vous me le donnez à entendre, il n’emportera pas la ville avec lui. Dans tous les cas, je resterais donc tranquillement où je suis, n’ayant rien à craindre au milieu d’une garnison anglaise, et encore moins au milieu de mes propres concitoyens.

— Cécile, vous ne connaissez ni les dangers ni la licence de la guerre. Quand bien même Howe abandonnerait cette place, ce ne serait que pour quelques instants ; croyez bien que le ministère anglais ne cédera jamais la possession d’une ville comme celle-ci, qui a si longtemps bravé tous ses efforts, à des hommes armés contre leur monarque légitime.

— Vous avez étrangement oublié les six mois qui viennent de s’écouler, Lionel, ou vous ne m’accuseriez pas d’ignorer toutes les misères que la guerre peut occasionner.

— Mille remerciements de ce reproche et de cet aveu, chère Cécile ; l’un et l’autre sont des preuves de votre tendresse ; mais pourquoi chercher à cacher encore des sentiments que vous m’avez déjà laissé entrevoir ?

— Je n’hésite pas à les avouer à celui dont le cœur généreux saura excuser ma faiblesse ; mais il m’est peut-être permis d’hésiter à faire un pareil aveu en face de tout le monde.

— Je m’adresserai donc à votre cœur, dit Lionel feignant de ne pas voir le sourire de coquetterie innocente qu’elle lui adressait.