Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/324

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pareil événement pouvait faire naître, quoiqu’il fût l’ouvrage d’un idiot.

Quoi qu’il en soit, lorsqu’il fut arrivé sur la place, le mouvement rapide du traîneau qui accélérait la circulation ordinairement tranquille de son sang, la scène funèbre à laquelle il venait d’assister, et les souvenirs qui se présentaient en foule à son esprit concoururent à monter son imagination à un point de détermination obstinée. Job Pray était le sujet de toutes ses pensés, une victime qu’il voulait immoler à la justice et à sa colère, et il ne se proposait rien de moins que de lui arracher un aveu et de se faire prompte justice.

L’ombre du soir tombait déjà sur la ville, et le froid avait depuis longtemps renvoyé chez eux le petit nombre de marchands qui vendaient encore quelques comestibles dans les boutiques mal approvisionnées du marché. On ne voyait à leur place que quelques femmes maigres et exténuées, souvent avec un enfant, qui cherchaient, parmi ce qu’on avait jeté au rebut sur le marché, de quoi faire un misérable repas. Mais si la partie de la place sur laquelle se tenait le marché offrait cet aspect de solitude et de misère, l’autre extrémité présentait un aspect tout différent.

Le vieux magasin était entouré d’une foule d’hommes en uniforme, dont le désordre et les mouvements rapides annoncèrent sur-le-champ à l’œil expérimenté du capitaine qu’ils étaient occupés de quelque œuvre de violence illégale. Quelques-uns se précipitaient dans le bâtiment après avoir ramassé dans la rue tout ce qui pouvait servir d’armes à leur fureur ; d’autres en sortaient et faisaient retentir la place de leurs cris et de leurs menaces. De tous les passages ténébreux qui aboutissaient sur le marché, on en voyait sortir qui se dirigeaient vers le même point ; et un groupe de soldats attroupés sons chaque fenêtre excitaient par leurs acclamations ceux qui étaient dans l’intérieur.

Quand Polwarth eut ordonné à Shearflint d’arrêter, il entendit les cris confus de cette soldatesque, et, avant qu’il pût dans l’obscurité du soir reconnaître les parements de l’uniforme, son oreille avait distingué l’accent bien connu de Royal-Irlandais. Ce fut un éclair qui répandit tout à coup le jour de la vérité dans son esprit. Descendant de son tompung aussi promptement qu’il le put, il se fit jour à travers cette foule de soldats avec une agitation singulière qui devait naissance à des sentiments bien opposés,