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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/81

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temps orageux se multiplièrent dans le milieu d’avril, et Lionel se vit forcé de garder la maison.

Un soir que la pluie tombait presque verticalement contre les croisées du parloir de Mrs Lechmere, Lionel monta dans sa chambre pour aller finir quelques lettres qu’il avait commencées avant le dîner pour l’agent de sa famille en Angleterre. En entrant dans son appartement, qu’il avait laissé vide, il fut surpris de le voir occupé d’une manière qu’il ne prévoyait pas. Un feu de bois brûlait dans le foyer, et jetait une clarté vacillante sur tous les meubles qui se projetaient sur le parquet en ombres fantastiques. En ouvrant la porte, son regard tomba sur une de ces ombres, qui, se dessinant sur le mur et paraissant toucher au plafond, lui offrit les formes gigantesques mais réelles d’un être humain. Se rappelant qu’il avait laissé ses lettres ouvertes, et se fiant peu à la discrétion de Meriton, Lionel avança légèrement jusqu’à ce qu’il fût à portée de distinguer les objets, et, à son grand étonnement, il aperçut non son valet, mais son vieux compagnon de voyage. Le vieillard tenait la lettre écrite par Lionel, et il était si absorbé dans sa lecture, qu’il ne l’entendit point approcher. Un large manteau d’étoffe grossière et ruisselant d’eau cachait sa taille ; mais quoique ses cheveux blancs couvrissent une partie de sa figure, on ne pouvait méconnaître ses traits où le malheur était gravé en caractères ineffaçables.

— J’ignorais que je dusse recevoir votre visite, dit Lionel en s’avançant vivement au milieu de la chambre ; sans cela je n’aurais pas autant tardé à revenir chez moi, où je crains que vous ne vous soyez ennuyé, Monsieur, n’ayant pour distraction que ce chiffon de papier.

Le vieillard tressaillit, leva la tête, et Lionel vit avec surprise que de grosses larmes sillonnaient ses joues creuses et amaigries. Le regard courroucé avec lequel il avait abordé le vieillard fit place à une tendre pitié, et il allait lui parler d’un ton plus doux, lorsqu’il fut prévenu par l’étranger que son air de hauteur et de mécontentement n’avait point paru intimider.

— Je vous comprends, major Lincoln, dit-il avec calme ; mais il peut exister des raisons capables de justifier une indiscrétion plus forte encore que celle dont vous m’accusez. Le hasard et non l’intention m’a fait connaître vos plus secrètes pensées sur un sujet qui m’intéresse vivement. Souvent, pendant notre voyage,