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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/83

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jamais avec plus de force que lorsqu’elle est prête à s’éteindre pour toujours. Mais quoique je ne puisse pas vous inspirer une ardeur que je ne possède plus, je veux vous signaler les dangers qui vous environnent, et vous servir de fanal lorsque je ne puis plus vous être utile comme pilote. C’est dans ce dessein, major Lincoln, que j’ai bravé la tempête cette nuit.

— Est-il arrivé quelque chose qui rendît le danger si pressant que vous ne pussiez attendre qu’elle fût du moins dissipée ?

— Regardez-moi, dit le vieillard vivement. J’ai vu cette florissante contrée lorsqu’elle n’était encore qu’un vaste désert ; mes souvenirs me reportent au temps où les sauvages et les animaux des forêts disputaient à nos pères la plus grande partie de ce sol, qui suffit maintenant pour donner l’abondance à plusieurs milliers d’habitants. Je ne compte point mon âge par années, mais par générations. Croyez-vous que je puisse compter encore sur beaucoup de mois, de semaines, ou même de jours ?

Lionel embarrassé baissa les yeux, et répondit :

— Vous ne pouvez plus, il est vrai, compter sur un grand nombre d’années ; mais, avec votre activité et votre tempérance, c’est vous défier de la bonté de Dieu que de ne plus espérer que des mois ou des semaines.

— Eh quoi ! dit le vieillard en étendant une main décolorée sur laquelle de grosses veines saillantes n’annonçaient que trop le dépérissement de la nature, ces membres décharnés, ces cheveux blancs et ces joues creuses et sépulcrales me promettent-ils encore des années, moi qui n’oserais pas même demander au ciel de m’accorder une minute, si elle était digne d’une prière, tant mon épreuve sur la terre a déjà été longue ?

— Le sage doit certainement prévoir un passage qu’on ne craint souvent que parce qu’on n’y est pas préparé.

— Eh bien ! Lionel Lincoln, tout vieux, tout faible que je suis, quoique déjà sur le seuil de l’éternité, je ne suis pas plus près de la tombe que le pays auquel vous avez voué votre sang ne l’est d’une convulsion terrible qui ébranlera toutes ses institutions jusque dans leurs fondements.

— Je ne puis convenir que les présages soient aussi alarmants que vos craintes vous les représentent, dit Lionel en souriant ; quelque émotion qui arrive, l’Angleterre n’en resentira le choc que comme la terre supporte l’éruption d’un de ses volcans. Mais