Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/84

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nous employons des figures inutiles, Monsieur ; connaissez-vous quelque circonstance qui justifie la crainte d’un danger immédiat ?

Les yeux de l’étranger brillèrent un moment d’un éclat extraordinaire, et un sourire ironique anima un instant ses traits flétris, tandis qu’il répondait lentement :

— Ceux-là seuls qui perdront tout au changement doivent trembler. Un jeune homme qui secoue le joug de ses tuteurs n’est point porté à douter qu’il ne soit capable de se gouverner lui-même. L’Angleterre a tenu si longtemps ces colonies à la lisière, qu’elle oublie que son enfant est en état de marcher seul.

— Mais, Monsieur, vous outrepassez même les projets frénétiques de ces hommes audacieux qui se font appeler les — enfants de la liberté, — comme si la liberté pouvait exister quelque part plus forte et plus heureuse que sous la constitution de l’Angleterre ! Ils ne demandent que ce qu’ils appellent le redressement de torts, qui, pour la plupart, n’existent que dans leur imagination.

— Jamais une pierre lancée est-elle revenue sur elle-même ? Qu’une seule goutte de sang américain soit versée dans la querelle, et la tache en sera ineffaçable.

— Malheureusement cette expérience a déjà été faite ; cependant bien des années se sont passées, et l’Angleterre a toujours su maintenir ici sa puissance,

— Sa puissance ! répéta le vieillard ; ne reconnaissez-vous pas, major Lincoln, dans la patience et la soumission de ce peuple, lorsqu’il croyait à avoir tort, l’existence de ces mêmes principes qui le rendront invincible et inébranlable maintenant qu’il a le bon droit en sa faveur ? Mais nous perdons un temps précieux ; je veux vous conduire dans un lieu où, de vos propres yeux et de vos propres oreilles, vous pourrez juger de l’esprit qui anime ce pays. Suivez-moi.

— Vous ne pensez sûrement pas à sortir par un pareil orage ?

— Cet orage n’est rien en comparaison de celui qui est prêt à éclater sur nos têtes, si vous ne revenez sur vos pas. Mais suivez-moi ; si un homme de mon âge méprise la tempête, un officier anglais doit-il hésiter ?

Lionel se décida aussitôt ; il se rappela l’engagement qu’il avait pris sur le vaisseau avec son vieil ami, de l’accompagner à une scène semblable, et il fit à sa toilette les changements nécessaires