Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 5, 1839.djvu/153

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traditions de l’histoire des colonies, et qui sont parfaitement d’accord avec le caractère sombre de tout ce qui les environne[1]. Le toit d’écorces qui couvrait ce bâtiment s’était écroulé depuis bien des années, et les débris en étaient confondus avec le sol ; mais les troncs de pins qui avaient été assemblés à la hâte pour en former les murailles, se maintenaient encore à leur place, quoiqu’un angle de l’édifice rustique eût considérablement fléchi et menaçât d’occasionner bientôt sa destruction totale.

Tandis qu’Heyward et ses compagnons hésitaient à approcher d’un bâtiment qui paraissait dans un tel état de décadence, Œil-de-Faucon et les deux Indiens y entrèrent non seulement sans crainte, mais même avec un air évident d’intérêt. Tandis que le premier en contemplait les ruines, tant dans l’intérieur qu’à l’extérieur, avec la curiosité d’un homme dont les souvenirs devenaient plus vifs à chaque instant, Chingachgook racontait à son fils, dans sa langue naturelle, l’histoire abrégée du combat qui avait eu lieu pendant sa jeunesse en ce lieu écarté. Un accent de mélancolie se joignait à l’accent de son triomphe.

Pendant ce temps, les sœurs descendaient de cheval, et se préparaient avec plaisir à jouir de quelques heures de repos pendant la fraîcheur de la soirée, et dans une sécurité qu’elles croyaient que les animaux des forêts pouvaient seuls interrompre.

— Mon brave ami, demanda le major au chasseur qui avait déjà fini son examen rapide des lieux, n’aurions-nous pas mieux fait de choisir pour faire halte un endroit plus retiré, probablement moins connu et moins fréquenté ?

— Vous trouveriez difficilement aujourd’hui, répondit Œil-de-Faucon d’un ton lent et mélancolique, quelqu’un qui sache que ce vieux fort a jamais existé. Il n’arrive pas tous les jours qu’on fasse

  1. Il y a quelques années, l’auteur chassait dans les environs des ruines du fort Oswego, élevé sur le territoire du lac Ontario. Il faisait la chasse aux daims dans une forêt qui s’étendait presque sans interruption l’espace de cinquante milles ; il aperçut tout d’un coup six ou huit échelles étendues dans le bois à peu de distance les unes des autres ; elles étaient grossièrement faites et en très mauvais état ; surpris de voir de tels objets dans un pareil lieu, il eut recours, pour en avoir l’explication, à un vieillard qui demeurait dans les environs.

    « — Pendant la guerre de 1776, le fort Oswego était occupé par les Anglais ; une expédition fut envoyée à travers deux cents milles de la forêt pour surprendre le fort. Il paraît qu’en arrivant au lieu où les échelles étaient déposées, les Américains apprirent qu’ils étaient attendus et en grand danger d’être coupés. Ils jetèrent leurs échelles et firent une rapide retraite. Ces échelles étaient restées pendant cinquante ans dans le lieu où elles avaient été ainsi déposées. »