Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 5, 1839.djvu/162

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qu’il regardait le vieux bâtiment, la lune tombait en plein sur son visage, et faisait voir la surprise et la curiosité peintes sur ses traits. Il fit l’exclamation qui accompagne toujours dans un Indien la première de ces deux émotions, et sa voix fit venir à ses côtés un de ses compagnons.

Ces enfants des bois restèrent immobiles quelques instants, les yeux fixés sur l’ancien fort, et ils gesticulèrent beaucoup en conversant dans la langue de leur peuplade ; ils s’en approchèrent à pas lents, s’arrêtant à chaque instant, comme des daims effarouchés, mais dont la curiosité lutte contre leurs appréhensions. Le pied de l’un d’eux heurta contre la butte dont nous avons parlé ; il se baissa pour l’examiner, et ses gestes expressifs indiquèrent qu’il reconnaissait qu’elle couvrait une sépulture. En ce moment Heyward vit le chasseur faire un mouvement pour s’assurer que son couteau pouvait sortir facilement de sa gaine, et armer son fusil. Le major en fit autant, et se prépara à un combat qui paraissait alors devenir inévitable.

Les deux sauvages étaient si près que le moindre mouvement qu’aurait fait l’un des deux chevaux n’aurait pu leur échapper. Mais lorsqu’ils eurent découvert quelle était la nature de l’élévation de terre qui avait attiré leurs regards, elle sembla seule fixer leur entretien. Ils continuaient à converser ensemble ; mais le son de leur voix était bas et solennel, comme s’ils eussent été frappés d’un respect religieux mêlé d’une sorte d’appréhension vague. Ils se retirèrent avec précaution en jetant encore quelques regards sur le bâtiment en ruines, comme s’ils se fussent attendus à en voir sortir les esprits des morts qui avaient reçu la sépulture en ce lieu. Enfin ils rentrèrent dans le bois d’où ils étaient sortis, et disparurent.

Œil-de-Faucon appuya la crosse de son fusil par terre, et respira en homme qui, ayant retenu son haleine par prudence, éprouvait le besoin de renouveler l’air de ses poumons.

— Oui, dit-il, ils respectent les morts, et c’est ce qui leur sauve la vie pour cette fois, et peut-être aussi nous-mêmes.

Heyward entendit cette remarque, mais n’y répondit pas. Toute son attention se dirigeait vers les Hurons qui se retiraient, qu’on ne voyait plus, mais qu’on entendait encore à peu de distance. Bientôt il fut évident que toute la troupe était de nouveau réunie autour d’eux, et qu’elle écoutait avec une gravité indienne le rap-