Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 5, 1839.djvu/165

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sur lequel j’ai combattu depuis le lever jusqu’au coucher du soleil.

— Ah ! c’est donc cette nappe d’eau qui est le tombeau des braves qui périrent dans cette affaire ? J’en connaissais le nom, mais je ne l’avais jamais vue.

— Nous y livrâmes trois combats en un jour aux Hollando-Français, continua le chasseur, paraissant se livrer à la suite de ses réflexions plutôt que répondre au major. L’ennemi nous rencontra pendant que nous allions dresser une embuscade à son avant-garde, et il nous repoussa à travers le défilé, comme des daims effarouchés, jusque sur les bords de l’Horican. Là, nous nous ralliâmes derrière une palissade d’arbres abattus ; nous attaquâmes l’ennemi sous les ordres de sir William, — qui fut fait sir William pour sa conduite dans cette journée, — et nous nous vengeâmes joliment de notre déroute du matin. Des centaines de Français et de Hollandais virent le soleil pour la dernière fois, et leur commandant lui-même, Dieskau[1], tomba entre nos mains tellement criblé de blessures, qu’il fut obligé de retourner dans son pays, hors d’état de faire désormais aucun service militaire.

— Ce fut une journée glorieuse ! dit Heyward avec enthousiasme, et la renommée en répandit le bruit jusqu’à notre armée du midi.

— Oui, mais ce n’est pas la fin de l’histoire. Je fus chargé par le major Effingham, d’après l’ordre exprès de sir William lui-même, de passer le long du flanc des Français, et de traverser le portage, pour aller apprendre leur défaite au fort placé sur l’Hudson. Juste en cet endroit où vous voyez une hauteur couverte d’arbres, je rencontrai un détachement qui venait à notre secours, et je le conduisis sur le lieu où l’ennemi s’occupait à dîner, ne se doutant guère que la besogne de cette journée sanglante n’était pas encore terminée.

— Et vous le surprîtes ?

— Si la mort doit être une surprise pour des gens qui ne songent qu’à se remplir l’estomac. Au surplus, nous ne leur donnâmes pas le temps de respirer, car ils ne nous avaient pas fait quartier dans la matinée, et nous avions tous à regretter des parents ou des

  1. Le baron Dieskau, Allemand au service de France. Quelques années avant l’époque de cette histoire, cet officier fut défait par sir William Johnson, de Johnstown (État de New-York), sur les terres du lac George.