Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 5, 1839.djvu/187

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Comme il ne pouvait agir qu’en qualité de représentant du commandant du fort, on se dispensa du cérémonial qui aurait accompagné une entrevue des deux chefs des forces ennemies. La suspension d’armes durait encore, et après un roulement de tambours, Duncan sortit par la poterne, précédé d’un drapeau blanc, environ dix minutes après avoir reçu ses instructions. Il fut accueilli par l’officier qui commandait les avant-postes avec les formalités d’usage, et conduit sur-le-champ sous la tente du général renommé qui commandait l’armée française.

Montcalm reçut le jeune major, entouré de ses principaux officiers et ayant près de lui les chefs des différentes tribus d’Indiens qui l’avaient accompagné dans cette guerre. Heyward s’arrêta tout à coup involontairement quand, en jetant les yeux sur cette troupe d’hommes rouges, il distingua parmi eux la physionomie farouche de Magua, qui le regardait avec cette attention calme et sombre qui était le caractère habituel des traits de ce rusé sauvage. Une exclamation de surprise pensa lui échapper ; mais se rappelant sur-le-champ de quelle mission il était chargé, et en présence de qui il se trouvait, il supprima toute apparence extérieure d’émotion, et se tourna vers le général ennemi, qui avait déjà fait un pas pour aller au-devant de lui.

Le marquis de Montcalm, à l’époque dont nous parlons, était dans la fleur de son âge ; et l’on pourrait ajouter qu’il était arrivé à l’apogée de sa fortune. Mais même dans cette situation digne d’envie, il était poli et affable, et il se distinguait autant par sa scrupuleuse courtoisie que par cette valeur chevaleresque dont il donna tant de preuves, et qui deux ans après lui coûta la vie dans les plaines d’Abraham. Duncan, en détournant les yeux de la physionomie féroce et ignoble de Magua, en vit avec plaisir le contraste parfait dans l’air noble et militaire, les traits prévenants et le sourire gracieux du général français.

— Monsieur, dit Montcalm, j’ai beaucoup de plaisir… Eh bien ! où est donc cet interprète ?

— Je crois, Monsieur, qu’il ne sera pas nécessaire, dit Heyward avec modestie ; je parle un peu le français.

— Ah ! j’en suis charmé, répliqua le marquis ; et prenant familièrement Duncan sous le bras, il le conduisit à l’extrémité de la tente, où ils pouvaient s’entretenir sans être entendus. — Je déteste ces fripons-là, ajouta-t-il en continuant à parler français ; car on