Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 5, 1839.djvu/276

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dans le voisinage désagréable de laquelle le hasard les avait placés.

Les Mohicans et le chasseur écoutèrent cette narration imparfaite et interrompue avec un intérêt qui croissait évidemment à chaque instant ; et tandis que David cherchait à décrire les mœurs de la peuplade d’Indiens parmi lesquels Cora avait été conduite, Œil-de-Faucon lui demanda tout à coup :

— Avez-vous remarqué leurs couteaux ? Sont-ils de fabrique anglaise ou française ?

— Mes pensées ne s’arrêtaient point à de telles vanités, répondit David ; je partageais les chagrins des deux jeunes dames, et je ne songeais qu’à les consoler.

— Le temps peut venir où vous ne regarderez pas le couteau d’un sauvage comme une vanité si méprisable, dit le chasseur en prenant lui-même un air de mépris qu’il ne cherchait pas à déguiser. Ont-ils célébré leur fête des grains ? — Pouvez-vous nous dire quelque chose de leurs totems ?

— Le grain ne nous a jamais manqué ; nous en avons en abondance, et Dieu en soit loué, car le grain cuit dans le lait est doux à la bouche et salutaire à l’estomac. Quant au totem[1], je ne sais ce que vous voulez dire. Si c’est quelque chose qui ait rapport à l’art de la musique indienne, ce n’est pas chez eux qu’il faut le chercher : jamais ils n’unissent leurs voix pour chanter les louanges de Dieu, et ils paraissent les plus profanes de tous les idolâtres.

— C’est calomnier la nature d’un Indien ! Les Mingos eux-mêmes n’adorent que le vrai Dieu ! Je le dis à la honte de ma couleur ; mais c’est un mensonge impudent des blancs que de prétendre que les guerriers des bois se prosternent devant les images qu’ils ont taillées eux-mêmes. Il est bien vrai qu’ils tâchent de vivre en paix avec le diable ; mais qui ne voudrait vivre en paix avec un ennemi qu’il est impossible de vaincre ? Il n’en est pas moins certain qu’ils ne demandent de faveur et d’assistance qu’au bon et grand Esprit.

— Cela peut être ; mais j’ai vu des figures bien étranges au milieu

  1. Les totems forment une espèce de blason. Chaque famille sauvage se supposant descendue de quelque animal, adopte pour ses armoiries la représentation de cette origine bizarre qui peut-être n’est qu’une allégorie. Le tombeau est orné du totem qui a distingué le sauvage pendant sa vie et joué un rôle dans toutes les solennités de son existence aventureuse.