Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 5, 1839.djvu/381

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vivre. Après tout, il est probable que les forcenés n’auraient pas eu de repos qu’ils ne m’eussent fait sauter la cervelle ; ainsi deux ou trois jours ne feront pas beaucoup de différence dans le grand compte de l’éternité. Dieu vous bénisse ! ajouta-t-il en regardant de nouveau son jeune ami ; je vous ai toujours aimé, Uncas, vous et votre père, quoique nos peaux ne soient pas tout à fait de la même couleur, et que les dons que nous avons reçus du ciel diffèrent entre eux. Dites au Sagamore qu’il a toujours été présent à ma pensée dans mes plus grandes traverses ; et vous, pensez quelquefois à moi lorsque vous serez sur une bonne piste, et soyez sûr, mon enfant, soit qu’il n’y ait qu’un ciel ou qu’il y en ait deux, qu’il y a du moins dans l’autre monde un sentier dans lequel les honnêtes gens ne peuvent manquer de se rencontrer. Vous trouverez le fusil dans l’endroit où nous l’avons caché ; prenez-le, et gardez-le par amour pour moi, et écoutez, mon garçon, puisque vos dons naturels ne vous défendent pas le plaisir de la vengeance, usez-en, mon ami, usez-en un peu largement à l’égard des Mingos ; cela soulagera la douleur que pourra vous causer ma mort, et vous vous en trouverez bien. Huron, j’accepte votre offre ; relâchez la jeune fille, je suis votre prisonnier.

À cette offre généreuse un murmure d’approbation se fit entendre, et il n’y eut pas de Delaware dont le cœur fût assez dur pour ne pas être attendri d’un dévouement aussi courageux. Magua s’arrêta, il parut balancer un moment ; puis, jetant sur Cora un regard où se peignait à la fois la férocité et l’admiration, sa physionomie changea tout à coup, sa résolution devint invariable.

Il fit entendre par un mouvement de tête méprisant qu’il dédaignait cette offre, et il dit d’une voix ferme et fortement accentuée :

— Le Renard-Subtil est un grand chef ; il n’a qu’une volonté : allons, ajouta-t-il en posant familièrement la main sur l’épaule de sa captive pour la faire avancer ; un guerrier huron ne perd pas son temps en paroles ; partons.

La jeune fille recula d’un air plein de dignité et de réserve ; ses yeux étincelèrent, son front se couvrit d’une vive rougeur, en sentant la main odieuse de son persécuteur.

— Je suis votre captive, dit-elle, et quand il en sera temps je serai prête à vous suivre, fût-ce même à la mort. Mais la violence n’est point nécessaire, ajouta-t-elle froidement ; et se tournant