Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 5, 1839.djvu/66

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dans l’espoir de profiter des restes de quelque daim tué par les sauvages.

— Vous oubliez celui qui est à vos pieds, et dont l’odeur a pu également attirer les loups. Vous ne songez pas au poulain mort.

— Pauvre Miriam ! s’écria douloureusement le maître de chant, ton enfant était prédestiné à devenir la proie des bêtes farouches ? Élevant alors la voix au milieu du tumulte des eaux, il chanta la strophe suivante :

« Il frappa le premier-né de l’Égypte, les premiers-nés de l’homme et ceux de la bête : ô Égypte ! quels miracles éclatèrent au milieu de toi sur Pharaon et ses serviteurs ! »

— La mort de son poulain lui pèse sur le cœur, dit le chasseur ; mais c’est un bon signe de voir un homme attaché aux animaux qui lui appartiennent. Mais puisqu’il croit à la prédestination, il se dira que ce qui est arrivé devait arriver, et avec cette consolation il reconnaîtra qu’il était juste d’ôter la vie à une créature muette pour sauver celle d’êtres doués de raison. — Au surplus ce que vous disiez des loups peut être vrai, et c’est une raison de plus pour dépecer ce daim sur-le-champ, et en jeter les issues dans la rivière, sans quoi nous aurions une troupe de loups hurlant sur les rochers, comme pour nous reprocher chaque bouchée que nous avalerions ; et quoique la langue des Delawares soit comme un livre fermé pour les Iroquois, les rusés coquins ont assez d’instinct pour comprendre la raison qui fait hurler un loup.

Tout en faisant ces observations, le chasseur préparait tout ce qui lui était nécessaire pour la dissection du daim. En finissant de parler, il quitta les voyageurs, et s’éloigna, accompagné des deux Mohicans, qui semblaient comprendre toutes ses intentions sans qu’il eût besoin de les leur expliquer. Tous les trois disparurent tour à tour, semblant s’évanouir devant la surface d’un rocher noir qui s’élevait à quelques toises du bord de l’eau.