Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/158

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veau maître, nouvelles lois ; et je crois que la durée de notre séjour ici est tort incertaine.

— Ce n’est pas d’hier, mistress Remarquable, que nous sommes embarqués sur la mer orageuse de la vie. Nous avons rencontré des vents alisés qui nous ont protégés pendant notre traversée ; mais rien n’est plus variable que le vent, et il peut survenir une bourrasque qui fasse chavirer le bâtiment, ce qui doit nous arriver un jour ou l’autre.

— Si vous voulez dire que la vie est incertaine, monsieur Benjamin, je le sais tout comme vous, mais ce n’est pas de cela que je vous parle. Je vous dis que nous ne resterons pas longtemps dans cette maison sur le même pied que nous y sommes à présent. Et je vous le demande, aimeriez-vous à voir un blanc-bec vous passer sur le corps et vous donner des ordres ? Il me semble que cela est bien dur, monsieur Benjamin.

— Quant à cela, mistress Pettibone, l’avancement doit se régler d’après le nombre des années de service. M. Richard Jones est un capitaine sous les ordres duquel on aime à faire voile. Mais s’il lui plaisait de vouloir que le pilote reçût les ordres d’un mousse, en bien ! le pilote abandonnerait le gouvernail. Un homme qui a servi plus de trente ans sur des vaisseaux de tout bord n’est jamais embarrassé de sa personne, mistress Remarquable, et sur cela je bois à votre santé.

La femme de charge ne pouvait faire moins que de boire à celle du majordome, et il faut convenir d’ailleurs qu’elle n’était nullement ennemie d’un verre de vin, d’eau-de-vie ou de genièvre mélangé avec moitié d’eau chaude, pourvu qu’il fût bien sucré. Après cet échange de politesse, la conversation se renoua.

— Vous devez avoir acquis beaucoup d’expérience, monsieur Benjamin ; car, comme dit l’Écriture : celui qui va en mer sur un navire voit les œuvres du Seigneur.

— Et quelquefois aussi les œuvres du diable, mistress Pettibone. Mais après tout, la mer offre de grands avantages à un homme, car c’est là qu’on apprend à connaître non seulement les différentes nations, mais les différents pays. Moi, par exemple, je ne suis qu’un ignorant, en comparaison de certains capitaines qui fréquentent la mer, et cependant, depuis le cap de la Hogue jusqu’au cap finis à terre[1], il n’y a pas un promontoire, pas une île,

  1. Finistère : en anglais Ben-la-Pompe dit Cape finish there, Cap finit là.