Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/341

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Les éclats de rire de la foule redoublèrent quand le constable fut parti ; mais Benjamin, voyant que ses menaces et ses efforts étaient également inutiles, eut assez de bon sens pour puiser une leçon de patience dans l’air de résignation de son compagnon ; et ses traits d’abord courroucés prirent peu à peu l’expression du mépris. Se tournant alors vers son compagnon, il entreprit de jouer le rôle de consolateur.

— Au total et après tout, monsieur Bumppo, lui dit-il, ceci n’est qu’une bagatelle. J’ai connu, à bord de la Boadicée, plus d’un brave homme qui a été attaché comme cela par les pieds, uniquement pour avoir oublié qu’il avait déjà reçu sa ration de grog, et s’en être donné une seconde. C’est la même chose, voyez-vous, qu’un bâtiment surpris par un calme ; il faut bien alors que le meilleur voilier s’arrête ; mais cela ne dure pas toujours, et au premier souffle de vent, ses voiles s’enflent, et il marche tout aussi bien qu’auparavant. J’ai vu plus d’un camarade serré plus étroitement, vous dis-je.

Le chasseur parut apprécier cette consolation, sans comprendre bien l’éloquence navale de son camarade[1] : il chercha à sourire, mais en vain, et dit :

— Eh ! quoi ?

— ce n’est rien, vous dis-je, monsieur Bumppo ; quand nous pourrons lever l’ancre, je veux mourir si je ne vogue pas de conserve avec vous dans votre croisière contre les castors. Ce n’est pas que je me donne pour être très-habile dans le maniement des armes à feu, vu que mon poste me retenait auprès des munitions de bouche, mais je puis porter le gibier, et je suis même en état de lui tendre des trappes. J’ai réglé mon compte avec le squire Dickon ce matin, et je lui ai fait dire de rayer mon nom du rôle de l’équipage jusqu’à ce que notre croisière soit finie ; et comme vous maniez le fusil aussi bien que le harpon, il y a lieu de croire qu’elle ne sera pas bien longue.

— Vous êtes habitué à vivre avec les hommes, Ben-la-Pompe, et vous ne pourriez vous faire à la vie des bois.

— Pas du tout, monsieur Bas-de-Cuir, pas du tout. Je ne suis pas de ces marins qui ne savent manœuvrer que par un beau temps, et une tempête ne m’effraie pas. Quand j’ai un ami, voyez--

  1. Ben-la-Pompe se sert en effet d’un langage qui est à peu près inintelligible sans le secours d’un dictionnaire des termes de marine.