Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/373

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montrant d’un air calme le feu qui commençait à gagner du terrain. Voyez ! la flamme a surmonté la barrière que lui opposait le terrain humide. Sa marche est lente, mais elle n’en est pas moins sûre. Ah ! cet arbre ! voyez cet arbre ! Le voilà enflammé !

Elle ne disait que trop vrai. La chaleur avait enfin triomphé de l’humidité ; l’incendie se communiquait peu à peu à la mousse à demi desséchée, et un pin mort, qui se trouvant à l’autre extrémité de la plate-forme, touché par un tourbillon de flammes poussées par le vent, prit feu en un instant avec une rapidité presque magique. L’incendie gagna d’arbre en arbre, quoique plus lentement que dans la forêt, parce qu’ils étaient plus éloignés les uns des autres, et il consuma même les branches du chêne renversé sur le tronc duquel Mohican était assis. Le vieux chef dut souffrir de la chaleur, mais son courage l’élevait au-dessus des souffrances ; il ne changea ni de position ni de visage, et on l’entendait encore chanter dans ce moment plein d’horreur. Élisabeth, qui avait souvent les yeux fixés sur lui, ne put supporter ce spectacle, et en détourna ses regards pour les porter vers la vallée. Le vent avait poussé d’un autre côté les tourbillons de fumée, et l’on apercevait distinctement le village et tous les environs.

— Mon père ! mon père ! s’écria Élisabeth. Ah ! le ciel aurait pu m’épargner ce surcroît de douleur ! mais je me soumets à sa volonté.

La distance n’était pas assez grande pour qu’on ne pût distinguer le juge Temple, entre sa maison et le lac, regardant la montagne embrasée, et ne regrettant sans doute que la perte des arbres, sans se douter du danger que courait sa fille chérie. Cette vue était encore plus pénible pour Élisabeth que celle de l’incendie qui continuait à s’approcher d’elle pas à pas, et elle se retourna vers la montagne en tenant ses beaux yeux élevés vers le ciel.

— Que n’ai-je la moitié de votre résignation, miss Temple ! s’écria Edwards d’une voix étouffée par le désespoir.

— La mort est inévitable, Edwards, répondit-elle ; tâchons donc de mourir en chrétiens. Mais il n’est pas sûr que vous deviez mourir. Votre costume doit vous faire espérer d’échapper aux flammes plus facilement que le mien ne me le permettrait. Faites encore une tentative ; laissez-moi, fuyez ! Vous verrez mon père ; dites-lui tout ce qui pourra contribuer à le consoler. Dites-lui