Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/396

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Gaul darn ye[1] ! s’écria-t-il en étendant une main contre lui, tandis qu’il tenait l’autre sur la partie blessée ; cette affaire ne s’arrangera pas aisément ! je la poursuivrai depuis la cour des Plaids communs jusqu’à celle des Erreurs. Et faisant le tour du bouleau, il se remit promptement sous sa protection.

Une imprécation si choquante dans la bouche d’un homme aussi calme que le squire Doolittle, et l’air intrépide avec lequel il s’était exposé au péril, enflammèrent le courage des volontaires qui s’étaient retirés hors de portée. Ils poussèrent tous ensemble un grand cri, et firent une décharge générale qui ne produisit d’autre effet que de siffler dans les branches des arbres. Cependant se trouvant animés par le bruit de cette explosion, ils marchèrent en avant, et ils montaient tout de bon à l’assaut, quand le juge Temple arriva. Il avait appris dans le village le départ des volontaires et le but de leur expédition, et il s’était hâté d’accourir afin de prévenir quelque événement fâcheux.

— Paix ! silence ! s’écria-t-il ; pourquoi cet attroupement à main armée ? pourquoi ces coups de feu ? L’exécution des lois ne peut-elle être assurée sans effusion de sang ?

— C’est le posse comitatus, s’écria le shérif, qui était à quelque distance sur une hauteur avec le docteur Todd ; et c’est moi qui…

— Dites plutôt un posse[2] de démons ! répondit le juge.

— Ne versez pas de sang ! s’écria une voix partant du haut du rocher que le shérif avait craint de voir sauter en l’air ; nous nous rendons ; vous allez entrer dans la caverne.

L’étonnement, l’ordre du juge, cette apparition subite, tout concourut à produire l’effet désiré. Natty, qui avait rechargé son fusil, s’assit tranquillement sur un tronc d’arbre, la tête appuyée sur ses mains ; et l’infanterie légère de Templeton, suspendant son attaque, attendit en silence le résultat de cette affaire.

  1. Gaul darn ye : c’est encore ici un de ces jurons qu’on ne saurait traduire même par des équivalents, et que nous expliquerons pour détruire la fausse idée déjà signalée dans nos notes, qui met si souvent God damn dans la bouche des Anglais, tandis que God damn n’est presque plus un mot de leur langue. Gaul darn ye signifierait Gaul vous rentrait ; mais Hiram, qui, même dans sa colère, n’ose pas prononcer contre Natty le jurement de God damn ye, Dieu vous damne, en modifie le son en homme bien élevé, de manière à former d’autres mots qui rappellent de loin le God damn ye qu’il n’ose dire. Nous disons en français, dans ce sens, va te faire sucre.
  2. Le mot latin posse, qui, suivi de commitatus, signifie la force armée du comté, les citoyens armés au secours de la loi, est ici employé dans le sens de bande, troupe.