Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 7, 1839.djvu/13

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qu’ils avaient achetées par tant de travaux, et, à la tête de bandes nombreuses de jeunes descendants que les forêts de l’Ohio et du Kentucky avaient vus naître, ils s’enfoncèrent plus avant dans les terres, cherchant ce qu’on pourrait appeler, sans le secours de la poésie, leur atmosphère naturelle, celle qui était plus conforme à leurs goûts. De ce nombre fut le brave et intrépide forestier[1] qui, le premier, avait pénétré dans les déserts du Kentucky. On vit alors ce vénérable vieillard se déplacer de nouveau, entreprendre son dernier voyage, mettre le Fleuve-sans-Fin entre lui et la multitude que le succès de son audace avait attirée autour de lui, et aller chercher plus loin le renouvellement de ces jouissances qui n’avaient plus de prix à ses yeux dès qu’elles étaient entravés par les formalités des institutions humaines[2].

Lorsque des hommes courent après des aventures pareilles, ils sont ordinairement entraînés par la force d’habitudes antérieures, ou trompés par les espérances qu’ils ont formées en secret. Quelques-uns, suivant ce vain fantôme, et voulant devenir riches tout à coup, se mirent à chercher les mines du territoire encore vierge, mais ce fut le petit nombre ; et la très-grande partie des émigrants se bornèrent à s’établir sur le bord des grands courants d’eau, se contentant des riches récoltes que le voisinage des rivières assure même à la plus faible industrie. Ce fut ainsi que des établissements se formèrent avec une rapidité magique ; et la plupart de ceux qui ont été témoins de l’acquisition de cette province inhabitée ont vécu pour voir déjà un peuple nombreux et indépendant se former, s’isoler du reste de l’État, et se faire recevoir dans le sein de la confédération nationale sur le pied de l’égalité politique[3].

  1. Forester : habitant des forêts. Les Américains ont aussi pour synonyme de ce mot celui de Backwoodsman, homme des bois éloignés : c’est ainsi qu’ils désignent ces espèces de pionniers de la civilisation dont chaque pas qu’ils font dans le désert est au profit de cette civilisation qu’ils croient laisser bien loin derrière eux.
  2. C’est l’idée qui a inspiré le poëte américain Paulding, souvent cité par l’auteur, son poëme du Backwoodsman. M. F. Cooper fait ici allusion au colonel Daniel Boon, qui, après avoir habité trente ans dans le désert du Kentucky, les quitta lorsqu’ils commencèrent à se peupler, et, à l’âge de quatre-vingt-douze ans, alla chercher à plus de trois cents milles de distance d’autres déserts où les hommes n’eussent encore pénétré. Le caractère de Daniel Boon excitait l’admiration de lord Byron, qui lui a consacré plusieurs stances dans le poëme de Don Juan, où il l’appelle — un ermite actif et enfant de la nature jusque dans sa vieillesse. — (Don Juan, chant VIII.) Byron avait eu quelquefois l’idée d’aller vivre lui-même en Amérique.
  3. Le Missouri.