Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 7, 1839.djvu/133

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— Non certainement. Je vous ai dit que c’est une longue histoire pleine d’incidents intéressants, et le souvenir qu’en avaient conservé mon aïeul et son épouse…

— Ah ! elle s’appelait Alice ! s’écria le vieillard en agitant une main en l’air, sa physionomie s’animant par les idées que ce nom faisait revivre en lui ; Alice ou Elsie, car c’est la même chose. C’était une jeune fille vive et enjouée quand elle était heureuse ; mélancolique et touchante dans le malheur. Elle avait de beaux cheveux blonds, comme le poil du jeune faon, et sa peau était plus blanche que l’eau la plus pure qui fût jamais tombée du haut d’un rocher. — Je me la rappelle bien ; oui, oui, je me la rappelle fort bien.

Le jeune homme ne put retenir un léger sourire, et il regarda le vieillard avec une expression qu’on aurait pu regarder comme une déclaration que ce portrait ne s’accordait guère avec le souvenir qu’il avait conservé de sa vénérable aïeule. Cependant il parut penser qu’il était inutile de faire une protestation à ce sujet.

— Tous deux, dit-il, conservaient une trop vive impression des dangers qu’ils avaient courus, pour oublier aucun de ceux qui les avaient partagés.

Le Trappeur détourna les yeux, et parut lutter contre quelque sentiment intérieur qui l’agitait vivement. Il les reporta ensuite sur le jeune officier ; mais ses regards n’avaient plus la même assurance, et n’annonçaient plus si évidemment l’intérêt qu’il prenait à la question qu’il allait lui faire.

— Vous a-t-il parlé de tous ? lui demanda-t-il ; étaient-ils tous des peaux rouges, à l’exception de lui-même et des deux filles de Munro ?

— Non ; il se trouvait un blanc avec les Delawares, un batteur d’estrade de l’armée anglaise, mais né en Amérique.

— Quelque ivrogne, — quelque misérable vagabond comme ceux qui vivent avec les sauvages, j’en réponds !

— Vieillard, vos cheveux gris devraient vous apprendre à mettre plus de retenue dans vos discours. L’homme dont je vous parle joignait un mérite réel à une grande simplicité d’esprit. Bien différent de la plupart de ceux qui vivent sur les frontières, il en réunissait les meilleures qualités sans aucun mélange des mauvaises. C’était un homme donc du don le plus précieux, et peut-être le plus rare de la nature, celui de savoir distinguer le bien et le mal. Il devait ses vertus à sa simplicité, parce qu’elles étaient