Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 7, 1839.djvu/211

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— On croirait que le pauvre homme est devenu fou, avec ses yeux et ses couleurs, s’écria, d’un ton mécontent, le Trappeur, qui commençait à voir avec inquiétude tant de temps s’écouler avant que ses compagnons fussent à l’abri de tous les yeux dans l’épaisseur du bois. S’il y a quelque reptile dans les buissons, faites-le moi voir, et s’il refuse de nous céder la place tranquillement, nous verrons qui sera le maître.

— Là, dit le docteur en lui montrant entre les arbres un buisson épais à environ cinquante pas de l’endroit où ils étaient.

Le Trappeur, avec l’air du plus grand calme, porta les yeux du côté qui lui était indiqué ; mais dès que ses regards exercés eurent aperçu l’objet qui avait confondu toutes les connaissances du naturaliste, il tressaillit lui-même, dirigea le canon de son fusil en avant, et le remit à l’instant même sur son épaule, comme si une seconde pensée l’eût convaincu qu’il avait eu tort de céder à la première.

Ces deux mouvements, l’un de précipitation, l’autre de prudence, n’étaient pas sans motif suffisant. Sur le bord du bosquet, et en contact avec la terre, on voyait une espèce de boule animée dont l’aspect pouvait justifier le désordre qui régnait dans l’esprit du docteur. Il serait difficile de décrire la forme et les couleurs de cette masse organisée extraordinaire ; on peut seulement dire, en termes généraux, quelle était de forme presque sphérique, et qu’elle présentait toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, mêlées ensemble sans ordre, sans harmonie, et sans dessin qu’on pût distinguer. Les teintes dominantes étaient le noir et un vermillon brillant ; mais des lignes blanches, jaunes et cramoisies, s’y mariaient d’une manière étrange, et comme au hasard. Si c’eût été tout, il aurait été difficile d’affirmer que c’était un être doué de vie, car cet objet, quel qu’il fût, restait aussi immobile qu’une pierre ; mais une paire d’yeux noirs, brillants et mobiles, qui suivaient avec vigilance les moindres mouvements du Trappeur et de son compagnon, établissaient suffisamment le fait important qu’il appartenait au règne animal.

— Votre reptile est un espion, ou je n’entends rien à la peinture et aux ruses des Indiens, dit le vieillard en appuyant la crosse de son fusil sur la terre, et regardant cet objet effrayant avec l’air du plus grand sang-froid. Il croit que nous avons perdu la vue ou la raison ; il voudrait nous faire croire que la tête d’une