Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 7, 1839.djvu/228

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— Et pourquoi non ? répondit le vieillard ; je comprends fort bien où vous voulez en venir, car il n’est pas besoin de vivre dans les villes pour connaître toutes les inventions diaboliques que l’esprit de l’homme peut imaginer pour détruire son propre bonheur. Qu’est-ce que cela prouve, si ce n’est que le jardin que le Seigneur avait fait n’était pas arrangé suivant la misérable mode de nos jours ? Non, non, le jardin du Seigneur était la forêt, et c’est encore aujourd’hui la forêt, où vous voyez les fruits mûrir, et où vous entendez les oiseaux chanter, chacun suivant ce qu’il a ordonné dans sa sagesse. — À présent, capitaine, vous pouvez comprendre le mystère des vautours. Voilà les buffles qui avancent, et il paraît que c’est un noble troupeau ; je garantis que le Pawnie a quelques compagnons cachés dans un creux, pas bien loin d’ici, et comme il est allé les avertir, vous allez voir une fameuse chasse. Cela servira à retenir le vieux Loup et ses louveteaux dans leur fort ; quant à nous, nous n’avons rien à craindre, les Pawnies ne sont pas des sauvages barbares.

Tous les yeux se fixèrent alors sur le spectacle qui commençait à se montrer. Même la timide Inez s’empressa d’accourir auprès de Middleton pour jouir de cette vue, et Paul se hâta de distraire Hélène des soins de la cuisine, dont elle s’occupait, pour qu’elle fût aussi témoin de cette scène animée.

Pendant tous les événements que nous venons de rapporter, les Prairies avaient offert la majesté d’une solitude complète ; il est vrai que des troupes d’oiseaux de passage avaient dérobé aux yeux le firmament ; mais les deux chiens et l’âne du docteur étaient les seuls quadrupèdes qui eussent animé la surface de la terre. Maintenant la scène changeait tout à coup, et il semblait qu’un coup de baguette eût suffi pour y faire paraître le tableau animé qui formait ce contraste frappant.

On aperçut d’abord de loin quelques bisons mâles énormes, qui marchaient en tête du troupeau. Après eux venaient de longues files de ces animaux, qui étaient eux-mêmes suivis par des masses si compactes et si serrées que la couleur sombre des herbes desséchées qui couvraient les Prairies disparaissait sous la teinte encore plus foncée de leurs cuirs poilus. À mesure que cette colonne s’étendait et si épaississait, on aurait pu la comparer à ces troupes immenses d’oiseaux de passage dont les flancs allongés semblent souvent sortir des abîmes du firmament, et qui paraissent aussi innombrables que les feuilles des forêts au-dessus desquelles ils