Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 7, 1839.djvu/233

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si elles avaient entendu. D’ailleurs, si elles changent d’avis, il ne serait peut-être pas bien difficile d’obtenir du baudet une seconde chanson.

— L’âne a parlé, mais Balaam garde le silences s’écria le chasseur d’abeilles en reprenant haleine après de joyeux éclats de rire, si bruyants qu’ils ajoutèrent peut-être à la terreur panique des bisons. Le docteur est aussi muet que si un essaim de mouches à miel s’était arrêté au bout de sa langue, et qu’il n’osât parler, de peur qu’elles ne lui répondissent.

— Eh bien ! l’ami, dit le Trappeur en s’adressant au naturaliste, encore immobile et muet, comment se fait-il que vous, dont le métier est d’écrire dans des livres les noms et la description des animaux des champs et des oiseaux de l’air, vous soyez si effrayé d’un troupeau de buffles qui passent ? Mais peut-être allez-vous me disputer le droit de leur donner un nom qui est dans la bouche de tous les chasseurs et de tous les marchands du pays.

Le vieillard se trompait pourtant en supposant qu’il pouvait ranimer les facultés engourdies du docteur, en provoquant une discussion sur un sujet auquel celui-ci attachait tant d’importance. Depuis cette époque on ne l’entendit jamais qu’une seule fois prononcer un mot qui indiquât le genre ou l’espèce de cet animal. Il refusa même obstinément la chair succulente de toute la famille du bœuf ; et encore aujourd’hui qu’il est établi en toute sécurité, et avec la dignité d’un savant, dans une ville maritime, il se détourne en frémissant à l’aspect de ce mets délicieux et sans égal qu’on sert si souvent aux repas de corps, mets bien au-dessus de celui qui porte le même nom dans les plus fameuses tavernes de Londres et chez les restaurateurs de Paris les plus renommés. En un mot, le dégoût du digne naturaliste pour le bœuf ressemblait à celui que le berger fait naître quelquefois dans un chien en le jetant à la porte de la bergerie, la gueule muselées et les pattes liées, pour que le troupeau lui passe sur le corps, ce qui, dit-on, le dégoûte pour toujours de la chair de mouton.

Lorsque Paul et le Trappeur se furent assez livrés, l’un à la gaieté bruyante, l’autre au rire silencieux que leur inspirait l’air d’abstraction de leur savant compagnon, celui-ci commença à respirer, comme si une paire de soufflets artificiels avaient renouvelé l’action suspendue de ses poumons, et ce fut en cette occasion qu’il prononça pour la dernière fois le terme prescrit auquel nous venons de faire allusion.