Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 7, 1839.djvu/27

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

été faite pour lui ? et tout ce qu’elle porte est également pour son usage.

— Étranger, vous paraissez n’avoir que peu de butin[1], pour quelqu’un qui vit loin de toute habitation, dit l’émigrant d’un ton brusque, en l’interrompant, comme s’il avait quelque raison pour désirer de changer le cours de la conversation. J’espère que vous êtes mieux monté en peaux.

— Je fais peu d’usage de tout cela, reprit le vieillard avec douceur. À mon âge, un peu de nourriture et quelques vêtements, c’est tout ce qu’il faut, et je n’ai guère besoin de ce que vous appelez butin, à moins que ce ne soit de temps en temps pour troquer contre un peu de poudre ou de plomb.

— Vous n’êtes donc pas né dans ces districts ? dit l’émigrant, ayant présente à l’esprit l’acception dans laquelle le vieillard avait pris le mot très-équivoque que lui-même avait employé, d’après l’usage du pays, pour bagage ou effets.

— Je suis né sur le bord de la mer, quoique la plus grande partie de ma vie se soit passée dans les bois.

À ces mots toute la troupe ouvrit de grands yeux, et le regarda avec cet intérêt profond qu’excite l’apparition d’un objet inattendu. Une ou deux voix répétèrent les mots sur le bord de la mer ; et, à partir de ce moment, la femme, malgré toute sa rudesse, montra pour lui des attentions qu’elle était peu dans l’habitude d’avoir pour ses hôtes ; mais c’était une sorte d’hommage qu’elle rendait au titre respectable de voyageur. Après une pause assez longue, qu’il parut employer à réfléchir, l’émigrant, ne voyant sans doute pas la nécessité de suspendre plus longtemps les opérations du repas, reprit la conversation.

— Il y a loin, à ce que j’ai entendu dire, des eaux de l’ouest aux bords de la Rivière-Sans-Fin.

— Oh ! oui, bien loin : et j’ai eu beaucoup à voir, et un peu à souffrir en faisant cette route.

— Ce doit être un voyage dur et pénible que de la parcourir dans toute sa longueur ?

— Pendant soixante-quinze ans j’ai été sur cette route ; et,

  1. On se sert dans les États de l’ouest du mot butin pour exprimer les bagages d’un voyageur. Ce mot pourrait induire en erreur sur le caractère de ce peuple, qui, malgré son singulier usage d’un terme aussi expressif, est, ainsi que les habitants de tous les nouveaux établissements, honnête et hospitalier. La friponnerie à laquelle pourrait faire croire le mot butin se trouve généralement dans les régions plus civilisées.