Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 7, 1839.djvu/85

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permettre d’en distinguer la forme et les proportions, mais pourtant ce qu’elle voyait suffisait pour lui faire présumer que c’était quelque animal sauvage et terrible.

— Le voilà ! le voilà ! s’écria le docteur en portant machinalement la main sur ses tablettes, tandis que ses jambes tremblaient sous lui, malgré tous ses efforts pour leur donner un peu de fermeté. — Il me semble, Hélène, que la fortune m’offre l’occasion de rectifier les erreurs que j’ai pu commettre à la faible lueur du firmament. Voyez un peu… gris-cendré… oreilles, imperceptibles… cornes, longues…

Sa voix tremblante et sa main, qui n’était guère plus assurée, furent arrêtées tout à coup par un mugissement de l’animal, assez terrible pour intimider un courage encore plus déterminé que celui du naturaliste. À ce cri, qui retentit dans la prairie en cadences bizarrement sauvages, succéda un silence profond et solennel, qui ne fut interrompu que par les éclats de rire répétés et irrésistibles qui partirent de la bouche plus harmonieuse d’Hélène. Pendant ce temps le naturaliste était comme frappé de stupeur, se laissant flairer par l’animal terrible dont il ne cherchait même plus à empêcher l’approche en lui opposant son bouclier de lumière, sans faire la moindre résistance ni le plus petit commentaire.

— C’est votre âne en personne ! s’écria Hélène dès qu’il lui fut possible de respirer ; — votre cher âne, qui vous est si attaché !

Le docteur promena un œil hagard de l’âne sur Hélène, et d’Hélène sur l’âne ; mais aucun son ne sortit de sa bouche.

— Comment, docteur, ne reconnaissez-vous pas un animal qui a vieilli à votre service ? ajouta la jeune fille dont l’accès de gaieté n’était pas encore passé ; un animal qui, vous l’avez dit mille fois vous-même, vous a toujours si doucement porté, et que vous aimiez comme un frère ?

Asinus domesticus ! marmotta le docteur en reprenant son haleine, comme quelqu’un qui aurait été près de suffoquer. Il n’y a pas le moindre doute sur le genre, et je soutiendrai toujours que l’animal n’est pas de l’espèce equus. C’est indubitablement l’asinus lui-même, ma pauvre Hélène ; mais ce n’est pas le vespertilio horribilis des Prairies. Ce sont des animaux bien distincts, je vous l’atteste, et qui diffèrent du tout au tout sur beaucoup de points essentiels. Celui-là est carnivore, ajouta-t-il en jetant un coup d’œil sur la page ouverte de ses tablettes ; celui-ci, grani-