Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/135

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croire à la vieille dame que la Royale Caroline était le Voltigeur Hollandais[1].

— Et pourquoi avez-vous jugé à propos de la détromper ? demanda brusquement Wilder.

— Voudriez-vous qu’un homme qui a passé cinquante ans sur mer calomniât le bois et le fer d’une manière aussi scandaleuse ? La réputation d’un navire est aussi précieuse pour un vieux chien de mer comme moi que celle de sa femme ou de sa maîtresse.

— Écoutez, l’ami : je suppose que vous vivez comme les autres, de manger et de boire.

— Un peu du premier, beaucoup du second, répondit le vieux marin avec un gros rire.

— Et comme la plupart des marins, vous gagnez l’un et l’autre par des travaux pénibles, par de grands dangers et en vous exposant à la rigueur du temps ?

— Hum ! gagnant de l’argent comme des chevaux, et le dépensant comme des ânes, — voilà ce qu’on dit de nous tous tant que nous sommes.

— Eh bien, je vais vous donner l’occasion d’en gagner avec moins de peine, et que vous pourrez dépenser comme il vous conviendra. Voulez-vous entrer à mon service pour quelques heures avec ceci pour gratification, et encore autant ensuite pour vos gages, si vous me servez honnêtement ?

Le vieillard avança la main pour prendre une guinée que Wilder lui présentait par-dessus son épaule, sans paraître juger nécessaire de se retourner pour regarder en face sa nouvelle recrue.

— Elle n’est pas fausse ? dit le vieux marin en s’arrêtant pour la faire sonner sur une pierre.

— C’est de l’or aussi pur qu’il en est jamais sorti de la Monnaie.

Le vieillard mit la guinée dans sa poche avec beaucoup de sang-froid et lui demanda, d’un ton ferme et décidé, comme s’il eût été prêt à tout entreprendre :

— Quel poulailler faut-il que je vole pour gagner cela ?

— Je ne vous demande rien de si bas. Il ne s’agit que de faire

  1. On trouve dans le Rokeby de Walter Scott une allusion à ce vaisseau-fantôme, et une note qui explique cette tradition. On prétend qu’un pirate hollandais ayant commis des atrocités inouïes pendant ses courses, fut condamné par le ciel à errer perpétuellement sur les mers avec son navire et son équipage, et que sa rencontre est un mauvais présage. — Éd.