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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/153

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vire était un mouvement beaucoup plus important, dans un port américain, qu’il ne l’est aujourd’hui, où l’on en voit fréquemment arriver ou partir une vingtaine en un seul jour. Quoique ayant droit de se dire habitans d’une des principales villes de la colonie, les bonnes gens de Newport ne virent pas les mouvemens qui avaient lieu à bord de la Caroline avec cette espèce d’indolence qui est le fruit de la satiété, en fait de spectacle comme en matière plus grave, et avec laquelle on finit, après un certain temps, par regarder même les évolutions d’une flotte. Au contraire, les quais étaient couverts d’enfans et de désœuvrés de toute taille et de tout âge. On y voyait même un grand nombre des citoyens les plus réfléchis et les plus industrieux, de ceux qui ordinairement saisissaient avec avidité toutes les minutes successives du temps qui s’écoule, afin de les mettre à profit, et qui en ce moment les laissaient échapper sans les compter, sinon tout-à-fait sans y faire attention, cédant ainsi à l’ascendant que la curiosité prenait sur l’intérêt, et quittant leurs boutiques et leurs ateliers pour voir le noble spectacle d’un navire mettant à la voile.

La lenteur avec laquelle l’équipage de la Caroline faisait ses préparatifs de départ épuisa pourtant la patience de plus d’un citoyen qui connaissait le prix du temps. Parmi les spectateurs d’une classe au-dessus de celle du peuple, une partie avait déjà quitté les quais ; cependant le bâtiment n’offrait encore à la brise que la voile solitaire que nous avons déjà désignée. Au lieu de répondre aux désirs de plusieurs centaines d’yeux fatigués, on voyait le noble navire rouler sur son ancre, s’incliner suivant le vent et tourner alternativement sa proue à droite et à gauche, comme un coursier impatient, retenu par la main du palefrenier, ronge son frein et bat la terre de ses pieds à l’aide desquels il doit bientôt s’élancer dans la carrière pour disputer le prix de la course. Après plus d’une heure de délai inexplicable, le bruit se répandit dans la foule qu’il était arrivé un accident, par suite duquel un individu important, faisant partie de l’équipage, avait été dangereusement blessé. Cependant ce bruit ne fut que passager, et on l’avait presque oublié, quand on vit sortir d’un sabord de proue de la Caroline une nappe de flamme, chassant devant elle un nuage de fumée qui s’élevait dans les airs, et qui fut suivie au même instant par l’explosion d’une pièce d’artillerie. Une agitation semblable à celle qui précède ordinairement l’annonce immédiate d’un événement long-temps attendu eut lieu alors parmi les spectateurs ras-