Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/244

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lieu. Enfermées dans leur chambre, elles avaient entendu le mugissement des vents et le brisement perpétuel des vagues ; mais ce fracas même les avait empêchées d’entendre le craquement des mâts et les cris rauques des matelots. Dans ces momens d’incertitude terrible, où le vaisseau était couché sur le côté, la gouvernante, plus expérimentée, eut, il est vrai, quelque terrible pressentiment de la vérité ; mais sentant qu’elle ne pouvait être d’aucune utilité, et ne voulant pas alarmer sa compagne, elle eut assez d’empire sur elle-même pour se taire. Le silence et le calme relatif qui suivirent la portèrent à croire qu’elle s’était trompée dans ses appréhensions ; et long-temps avant que le jour parût, Gertrude et elle s’étaient laissé aller aux douceurs d’un paisible sommeil. Elles s’étaient levées et étaient montées ensemble sur le tillac, et elles n’étaient pas encore revenues de la stupeur où les plongea le spectacle de désolation qui frappa leurs yeux, quand la révolte méditée depuis long-temps éclata contre Wilder.

— Que signifie cet affreux changement ? demanda Mrs Wyllys, dont les lèvres tremblaient, et dont le visage, malgré l’empire extraordinaire qu’elle exerçait sur ses sens, était couvert d’une pâleur mortelle.

L’œil de Wilder était étincelant, et son front aussi sombre que la tempête à laquelle ils venaient si heureusement d’échapper, lorsqu’il répondit, tout en faisant aux mutins un geste menaçant :

— Ce que cela signifie, madame ? c’est une sédition, une basse, une lâche sédition.

— Une sédition ! a-t-elle pu aller jusqu’à dépouiller ce vaisseau de tous ses mâts, et à le laisser ainsi nu et sans défense sur la mer ?

— Écoutez, madame, interrompit brusquement le lieutenant, je puis vous parler franchement à vous, car on sait qui vous êtes, et pour quel motif vous vous êtes embarquée sur la Caroline. J’ai vu cette nuit le ciel et l’océan se conduire comme ils ne s’étaient jamais conduits auparavant. Des vaisseaux couraient devant le vent, légers comme le liége, élevant en l’air tous leurs mâts, qui ne bronchaient pas plus que s’ils eussent été dans le port, tandis que d’autres ont été rasés en une minute aussi complètement que la barbe sous le rasoir d’un barbier. On rencontre des croiseurs voguant sans être dirigés par des mains humaines, et enfin, à tout