Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/245

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prendre, personne n’a jamais passé un quart comme celui qui vient de s’écouler.

— Et qu’a cela de commun avec les actes de violence dont je viens d’être témoin ? Le vaisseau est-il destiné à souffrir tant de maux ? Est-ce une chose que vous puissiez m’expliquer, monsieur Wilder ?

— Vous ne sauriez dire au moins que vous n’ayez pas été avertie du danger, répondit Wilder avec un sourire amer.

— Oui, le diable est obligé d’être honnête quand on l’y force, reprit le lieutenant. Chacune de ses créatures est assujettie à ses ordres ; et, grâce au ciel, quelque envie qu’elles pourraient avoir de les transgresser, elles n’ont ni le courage ni le pouvoir de le faire. Autrement, un voyage paisible serait si rare, dans ces temps de trouble, que peu d’hommes auraient la hardiesse de se hasarder sur les eaux. — Avertis ! oui, oui, nous en convenons ; vous nous avez avertis, et à plusieurs reprises. C’était un avertissement que le consignataire n’aurait pas dû mépriser, lorsque Nicolas Nichols se cassa la jambe au moment où on levait l’ancre. Je n’ai jamais vu pareil accident arriver à un tel moment, sans qu’il s’ensuivît quelque malheur. Et puis, n’était-ce pas un avertissement que ce vieillard avec sa barque ? sans compter combien c’est une chose qui porte malheur que de chasser violemment le pilote du vaisseau. Comme si tout cela n’était pas assez, au lieu d’ouvrir enfin les yeux et de nous tenir paisiblement à l’ancre, nous mettons à la voile, et quel jour choisissons-nous pour quitter un port sûr et tranquille, un vendredi[1] ! Loin d’être surpris de ce qui est arrivé, tout ce dont je m’étonne, c’est de me trouver encore en vie, et je le dois simplement à ce que je n’ai obéi qu’à ceux à qui je devais obéissance, et non à des marins inconnus et à des commandans étrangers. Si Edward Earing en avait fait autant, il y aurait encore un plancher solide entre lui et l’abîme. Mais quoiqu’il fût à demi tenté de croire à l’évidente vérité, il se laissa aller après tout à la superstition et à la crédulité.

Cette profession de foi caractéristique et étudiée du lieutenant,

  1. La croyance superstitieuse que le vendredi est un jour funeste n’était point particulière à Knighthead ; elle s’est conservée plus ou moins parmi les marins jusqu’à nos jours. Un négociant éclairé du Connecticut voulut s’efforcer, pour sa part, de déraciner un préjugé quelquefois nuisible. Il fit commencer la construction d’un vaisseau un vendredi, le lança un vendredi à la mer, lui donna le nom de Vendredi, enfin ce fut un vendredi que le vaisseau partit pour son premier voyage. Malheureusement pour le succès de cette tentative bien intentionnée, jamais on n’eut de nouvelles ni du bâtiment ni de l’équipage. — Éd.