Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/287

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les matelots des mâts, dont il a été si souvent question, était loin d’être terminée. Les coups, en plus d’une occasion, avaient succédé aux injures ; et comme cette première sorte de plaisanterie était de celles où les soldats de marine et les waisters étaient de force avec leurs persécuteurs plus malins, la guerre commençait à devenir plus égale, et le succès pouvait sembler douteux. Cependant Nightingale était toujours prêt à rappeler les combattans aux sentimens des convenances, par le son bien connu de son instrument et par sa voix retentissante. Un long et perçant coup de sifflet accompagné de mots : — Holà ! hé ! entendons la plaisanterie ! — avait suffi jusqu’alors pour comprimer le ressentiment prêt à éclater des différens antagonistes, quand la plaisanterie piquait trop au vif le fier soldat et le waister moins hardi, mais non moins rancuneux ; la préoccupation de celui qui, en général, observait d’un œil si vigilant les mouvemens de tous ses subordonnés, faillit entraîner des résultats d’une nature beaucoup plus sérieuse.

À peine l’équipage eut-il commencé les jeux plus ou moins grossiers que nous venons de rapporter, que la veine de gaîté qui avait porté le Corsaire à relâcher ainsi momentanément les liens de la discipline sembla s’arrêter tout à coup. L’air vif et enjoué qu’il avait conservé dans sa conversation avec les femmes qui étaient passagères ou prisonnières sur son bord, comme il lui plairait de les considérer, avait disparu sous le sombre nuage qui couvrait son front pensif. Son œil ne brillait plus de ces éclairs de saillies bizarres et piquantes, auxquelles il aimait beaucoup à se livrer, mais il avait pris une expression grave et austère. Il était évident que son esprit était retombé dans une de ces profondes rêveries qui obscurcissaient si souvent ses traits animés, de même qu’un nuage, en passant sur le soleil, répand une teinte sombre sur les épis dorés que le vent balance mollement dans la plaine.

Tandis que la plupart de ceux qui ne jouaient pas un rôle dans les jeux bruyans et variés de l’équipage les regardaient avec attention, d’un air, les uns de surprise, les autres de défiance, mais tous avec un intérêt plus ou moins vif, le Corsaire semblait être tout-à-fait étranger à ce qui se passait devant lui. Il est vrai que de temps en temps il levait les yeux sur les êtres actifs qui grimpaient aux cordages comme des écureuils, ou qu’il les laissait tomber sur le détachement moins alerte qu’occupait le tillac ;