Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/380

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Les drôles sont fâchés que ceux avec lesquels ils se flattaient de se battre se trouvent être des amis, dit le Corsaire en faisant remarquer à son lieutenant avec quelle confiance leurs voisins se laissaient abuser par des signaux qu’il avait su surprendre. C’est une occasion bien tentante ; mais je saurai y résister, Wilder, par considération pour vous.

Le lieutenant semblait avoir peine à en croire ses oreilles, mais il ne répondit rien. Ce n’était pas le temps, il est vrai, de s’amuser à prolonger l’entretien. Le Dauphin continuait rapidement sa course, et le brouillard, qui cachait les objets à bord du navire étranger, s’éclaircissait à mesure qu’on approchait davantage. Les canons, les cordages, les hommes, les traits même de la figure pouvaient être distingués ; et l’on vit bientôt le vaisseau se ranger au vent, puis, ayant disposé ses voiles d’arrière en carré pour recevoir la brise sur leur surface intérieure, rester immobile à sa place.

Les matelots du Dauphin, imitant la confiance de l’équipage abusé du vaisseau de la couronne, avaient aussi ferlé leurs hautes voiles, s’en reposant entièrement sur la prudence et l’audace de l’être singulier qui prenait plaisir à s’approcher si témérairement d’un ennemi si redoutable ; qualités qu’ils l’avaient toujours vu déployer avec le plus rare bonheur dans des circonstances même encore plus délicates que celles où ils se trouvaient. Ce fut avec un air franc et ouvert que le Corsaire redouté se dirigea sur son voisin sans défiance, jusqu’à ce que, n’étant plus qu’à quelques centaines de pieds du bau du vent, le vaisseau se, dressât contre la brise et restât aussi dans un état de repos. Mais Wilder, qui observait tous les mouvemens de son supérieur dans un muet étonnement, ne manqua pas de remarquer que l’avant du Dauphin était placé dans une direction différente de celui de l’autre vaisseau, et que sa marche avait été arrêtée par la disposition en sens inverse de ses vergues d’avant, circonstance qui permettait de manœuvrer plus facilement le navire, s’il devenait nécessaire de faire jouer tout à coup les batteries.

Le Dauphin roulait encore lentement par suite du mouvement qui lui avait été imprimé, lorsque un cri rauque et à peine distinct, traversant l’intervalle qui les séparait, vint, suivant l’usage, lui demander son nom. Le Corsaire, après avoir regardé son lieutenant d’un ton significatif, mit le porte-voix à ses lèvres, et dit