Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/414

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moins instruits ne pourraient apercevoir, et il ajoute au plaisir avec lequel on regarde un vaisseau en mer, en plaçant les jouissances de l’esprit sur le même niveau que celles des sens. Ce charme puissant, incompréhensible pour l’habitant des terres, forme le lien secret qui attache si étroitement le marin à son navire ; qui le porte souvent à en estimer les qualités, comme on apprécie les vertus d’un ami, et qui le rend presque aussi amoureux des belles proportions de son vaisseau que de celles de sa maîtresse. Les hommes d’une autre profession peuvent accorder leur admiration à différents objets, mais jamais elle ne peut approcher de l’affection que le marin conçoit avec le temps pour son vaisseau. C’est son domicile, le sujet d’un intérêt constant et quelquefois pénible, son tabernacle, et souvent la source de son orgueil et de son triomphe. Suivant que son navire trompe ou satisfait son attente dans sa marche ou dans le combat, au milieu des écueils ou des ouragans, il lui attribue des qualités ou des défauts qui, dans le fait, proviennent plus souvent de la science ou de l’incapacité de ceux qui le gouvernent, que des matériaux dont il est formé et de leur assemblage. En un mot, c’est le vaisseau lui-même qui, aux yeux d’un marin, emporte les lauriers du triomphe, ou est chargé de l’ignominie de la défaite ; et lorsque le contraire arrive, ce résultat n’est regardé que comme un hasard extraordinaire, une exception rare qui ne prouve rien contre la règle générale.

Sans être aussi profondément imbu de cette crédulité superstitieuse que les subalternes de sa profession, Wilder était vivement pénétré de tous les sentiments habituels au marin. Il les éprouvait tellement en cette occasion, qu’il oublia un moment la nature critique de sa mission, lorsqu’il se trouva à portée de mieux voir un navire qui pouvait avec justice passer pour une des merveilles de l’océan.

— Laissez vos rames en repos, camarades, dit-il aux matelots, laissez-les en repos. — Dites-moi, maître Fid, avez-vous jamais vu des mâts plus magnifiquement alignées, des voiles arrangées avec plus d’élégance et de propreté ?

Fid, qui tenait la rame d’avant sur la pinasse, tourna la tête sur son épaule, et poussant contre une de ses joues une chique de tabac qui semblait une bourre placée à côté d’un canon, il ne se fit pas presser pour répondre dans une occasion où on lui demandait si directement son avis.