Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/145

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Le jeune Indien tint les yeux fixés sur ceux de l’étranger jusqu’au moment où celui-ci termina son discours ; puis il les détourna lentement, et parut observer l’expression de la physionomie de Ruth. On eût dit que son orgueil et sa sensibilité se livraient un combat. Ce dernier sentiment l’emporta ; et, maîtrisant la profonde répugnance qu’il éprouvait, il fit entendre, pour la première fois depuis sa captivité, le langage d’une race abhorrée.

— J’entends les cris des guerriers, répondit-il avec calme ; les oreilles des hommes pâles sont-elles fermées ?

— Tu as parlé avec les jeunes gens de ta tribu dans la forêt, et tu avais connaissance de cette attaque ?

Le jeune homme ne fit aucune réponse, quoiqu’il supportât sans crainte le regard perçant du questionneur. S’apercevant qu’il avait demandé plus qu’on ne voulait lui en apprendre, l’étranger changea son mode d’examen, et mit un peu plus d’artifice dans ses questions

— Il se peut que ce ne soit pas une grande tribu qui nous a déclaré la guerre. Des braves eussent sauté par-dessus les bois des palissades comme sur des roseaux pliants. Ce sont des Pequots qui ont manqué à la foi promise aux chrétiens, et qui hurlent au dehors comme les loups pendant la nuit.

Une expression sauvage brilla sur les traits sombres de l’Indien. Ses lèvres s’entrouvrirent avec mépris, et il murmura ces mots plutôt qu’il ne les prononça :

— Le Pequot est un chien !

— C’est comme je le pensais ; les coquins sont sortis de leurs villages afin que les Yengeeses[1] puissent nourrir leurs squaws[2]. Mais un Narragansett ou un Wampanoag est un homme ; il dédaigne de se cacher dans les ténèbres ; lorsqu’il arrive, le soleil éclaire sa course. Le Pequot glisse en silence, car il craint que les guerriers n’entendent ses pas.

Il n’était pas facile de découvrir si le captif faisait attention, soit à la louange, soit à la censure ; car le marbre n’est pas plus froid que ne l’était son visage impassible.

  1. Les tribus indiennes qui eurent les premières relations avec les colons de la Nouvelle-Angleterre nommaient les blancs Yengeeses. Ils ne pouvaient approcher davantage du mot English, que beaucoup d’individus de cette région prononcent encore comme il est écrit, au lieu d’Inglish. L’explication la plus raisonnable du sobriquet bien connu Yœnkees est dérivée de Yangeese.
  2. Leurs femmes.