Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/160

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la cour sur la surface de laquelle il eût été facile de distinguer le plus petit objet, tandis que les cieux étaient couverts d’un rouge livide. À travers les ouvertures, entre les bâtiments du carré, l’œil pouvait pénétrer dans les champs, et Ruth y découvrit les sauvages ; tout annonçait qu’ils persévéraient dans leurs intentions hostiles. Elle vit leurs figures sombres et à moitié nues se glisser d’abri en abri, car il n’y avait ni tronc d’arbre ni souche qui ne protégeât dans l’occasion ces ennemis infatigables contre les balles ou les flèches de la garnison. Il était facile de s’apercevoir que les Indiens se trouvaient au nombre de plusieurs centaines ; et comme les assauts continuaient après la non-réussite d’une attaque, il n’était que trop évident qu’ils voulaient obtenir une victoire complète au péril de leur vie. Aucun des moyens ordinaires pour ajouter à l’horreur d’une scène semblable n’était négligé.

Des hurlements et des cris s’élevaient à chaque instant dans les airs, tandis que les sons éclatants et souvent répétés de la conque trahissaient l’artifice par lequel les sauvages avaient si souvent essayé, dans le commencement de la nuit, d’attirer la garnison hors des palissades. Quelques décharges rares, faites avec prudence et partant des lieux les plus exposés des fortifications, attestaient le calme et la vigilance des assiégés. Le petit canon de la forteresse était silencieux, car le Puritain connaissait trop bien son pouvoir réel pour affaiblir sa réputation par un trop fréquent usage. Cette arme était réservée pour les moments de danger plus pressant, et on pouvait malheureusement les prévoir.

Ruth contemplait ce spectacle dans un mélancolique effroi. Le calme champêtre des lieux où sa jeunesse s’était écoulée venait d’être détruit par la violence, et à la place de cette tranquillité qui approchait, autant qu’il est possible sur cette terre, de la sainte paix à la jouissance de laquelle tendaient tous ses pieux efforts, elle était témoin, ainsi que tous ceux qu’elle aimait, de ce qui existe de plus effrayant parmi les fléaux terrestres. Dans un semblable moment, la tendresse maternelle devait se faire sentir puissamment au cœur de Ruth ; et avant de se donner le temps de la réflexion, aidée par la lumière de l’incendie, elle se dirigea promptement à travers les passages tortueux de l’habitation, pour chercher ceux qu’elle avait laissés dans les appartements.

— Vous vous êtes souvenues qu’il fallait éviter de regarder dans