Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/168

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partagée par tous ceux qui l’écoutaient. Il n’était que trop facile de s’apercevoir, par la forme du linge, que deux corps étaient étendus sous ses plis. Chacun porta autour de soi ses regards avec inquiétude, pour savoir quel était celui qui manquait. Convaincu du danger d’un plus long retard, Content souleva le linge afin de faire cesser toute incertitude. Le corps du jeune homme fut découvert avec lenteur ; mais ceux même qui avaient le plus d’empire sur leurs sensations reculèrent d’horreur lorsque sa tête, qui avait disparu, leur laissa voir un tronc fumant encore, qui montrait que la cruauté des sauvages s’était exercée sur le cadavre.

— L’autre ! essaya de dire Ruth, à laquelle la frayeur coupait la parole. Et ce ne fut que lorsque son mari eut à moitié soulevé le linge qu’elle put prononcer ces mots : — Prends garde à l’autre !…

Cet avertissement n’était pas inutile, car le linge s’agita violemment au moment où Content le souleva, et un Indien hideux sauta dans le centre même du groupe effrayé, faisant mouvoir sa main armée autour de lui. Le sauvage se fraya une issue, et, jetant le cri terrible de sa tribu, il bondit à travers la porte ouverte du principal bâtiment avec une célérité qui rendait toute poursuite inutile. Les bras de Ruth, dans un accès de désespoir, s’étendirent vers le lieu où le sauvage venait de disparaître ; elle était sur le point de se précipiter sur ses traces, lorsque la main de son mari l’arrêta.

— Voudrais-tu hasarder ta vie, lui dit-il, pour sauver quelques bagatelles ?

— Laisse-moi ! s’écria Ruth, dont les sanglots étouffaient la voix, la nature s’est endormie dans mon sein.

— La crainte égare ta raison !

Ruth cessa de résister ; le délire qui avait égaré ses yeux disparut, et un calme presque surnaturel lui succéda. Rassemblant toute son énergie dans l’effort désespéré qu’elle faisait sur elle-même, elle se tourna vers son mari, et, l’âme remplie de terreur, elle lui dit d’une voix effrayante par son calme même :

— Si tu as le cœur d’un père, laisse-moi ; nos enfants ont été oubliés.

La main de Content retomba sans force, et au même instant il perdit de vue sa femme, qui s’était précipitée sur les traces du sauvage. C’était le moment que l’ennemi avait choisi pour pour-