Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/182

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fût prononcée dans une langue inintelligible aux sauvages, ces derniers connaissaient assez les pratiques des colons pour être convaincus que c’était le chef des visages pâles qui s’adressait à son Dieu. Moitié par crainte, moitié dans le doute des résultats de cette prière mystérieuse, la sombre armée s’éloigna à quelque distance, et surveilla en silence les progrès de l’incendie. Les sauvages avaient entendu d’étranges choses sur le pouvoir de la divinité des blancs ; et, comme leurs victimes avaient cessé de faire usage d’aucun moyen connu de défense, ils supposaient qu’ils attendaient quelque manifestation non équivoque du pouvoir du Grand Esprit de l’étranger.

Cependant les assaillants ne montraient ni pitié, ni désir de ralentir les cruels effets de la barbarie ; s’ils pensaient au sort de ceux qui étaient probablement sur le point de périr au milieu de cette masse de flammes, ce n’était que pour donner carrière au regret d’être privés de porter en triomphe dans leur village les gages sanglants de leur victoire. Mais ces sentiments caractéristiques s’évanouirent eux-mêmes lorsque les progrès effrayants des flammes leur ravirent l’espérance de pouvoir les satisfaire.

Le toit de la forteresse prit feu, et, par la lumière qui brillait à travers les meurtrières, il était évident que l’intérieur était enflammé. Une ou deux fois des sons étouffés parvinrent jusqu’aux oreilles des sauvages, comme si des femmes laissaient échapper de faibles cris ; mais ils cessèrent si promptement qu’ils se demandèrent si c’était une illusion de leurs sens. Les sauvages avaient déjà contemplé de sang-froid bien des misères humaines, mais jamais ils n’avaient vu affronter la mort avec tant de calme ; cette tranquillité solennelle au milieu des flammes leur inspira bientôt un sentiment d’effroi, et lorsque la forteresse s’écroula et couvrit la terre de ses ruines, ils quittèrent ce lieu de désolation, craignant la vengeance de ce Dieu qui était si capable d’inspirer de si profonds sentiments de résignation à ses adorateurs.

Les cris de victoire se firent encore entendre dans la vallée pendant cette nuit désastreuse, et le soleil se leva avant que les vainqueurs abandonnassent la montagne ; mais peu de sauvages trouvèrent assez de courage pour approcher des ruines où ils avaient été témoins d’un si grand exemple d’héroïsme chrétien. Le petit nombre de ceux qui s’approchèrent de ce lieu éprouvèrent le respect que l’Indien paie à la tombe du juste, plutôt que