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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/186

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barrière venait d’être placée devant les progrès de la civilisation, dans la vallée malheureuse de Wish-ton-Wish. Si la nature n’avait point été dérangée dans ses travaux, il eût fallu peu d’années pour couvrir la plantation abandonnée de son ancienne végétation, et un demi-siècle eût enseveli ses paisibles clairières sous l’ombre des forêts, mais il en était décrété autrement.

Le soleil avait atteint son méridien, et la troupe cruelle avait disparu depuis quelques heures, avant qu’il arrivât rien qui pût manifester cette décision apparente de la Providence. Un témoin des scènes d’horreur qui venaient de se passer aurait pris le frémissement du vent dans les ruines pour le murmure des ombres de ceux qui n’étaient plus. Enfin, il semblait que le silence du désert allait régner de nouveau, lorsqu’il fut faiblement interrompu. Un mouvement eut lieu dans les ruines de la forteresse : on eût dit que quelques morceaux de bois étaient déplacés avec prudence ; alors une tête humaine s’éleva doucement et avec précaution au-dessus du puits. Le visage effrayant et défiguré de cette espèce de spectre, ses traits noircis par la fumée et teints de sang, un front entouré de quelques fragments d’un vêtement souillé, ses yeux, dont les regards exprimaient la tristesse et l’horreur, tout était en harmonie avec la scène de désolation qui l’entourait.

— Que vois-tu ? demanda une voix calme et sévère qui s’éleva de l’intérieur du pilier. Faut-il reprendre nos armes, ou les agents de Moloch ont-ils disparu ? Parle, jeune homme, que vois-tu ?

— Une scène qui ferait pleurer un loup ! répondit Ében Dudley, soulevant son corps vigoureux et se plaçant debout sur le pilier, de manière à embrasser d’un coup d’œil toute la vallée. Que le mal soit ce qu’il voudra, nous ne pouvons pas dire que les avertissements nous aient manqué. Mais quelle est la sagesse de l’homme le plus prudent, mise dans la balance avec la ruse des démons ? Venez, Bélial a épuisé sa rage, et nous avons le temps de respirer.

Les sons qui sortirent de l’intérieur du puits annoncèrent la joie que causait cette nouvelle, non moins que la promptitude avec laquelle on obéit aux invitations d’Ében. Diverses pièces de bois et quelques planches furent passées à Dudley avec précaution, et il les jeta parmi les autres ruines du bâtiment. Alors il descendit du pilier, afin de faire place aux autres.