Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/22

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établit son séjour près des frontières septentrionales de cette dernière colonie. Ce lieu, avec le secours de quelques embellissements qui auraient pu être regardés comme objets de luxe dans un pays nouveau par ceux dont le goût n’était pas encore formé, mais dont le capitaine, malgré son abnégation de lui-même et les humbles habitudes de sa vie privée, se permettait encore la jouissance ; ce lieu, par sa beauté naturelle, le mouvement du terrain, l’eau et les bois, devint un séjour qui n’était pas moins agréable par son éloignement des tentations du monde que par ses charmes champêtres et pittoresques.

Après cet acte mémorable d’obéissance à la voix d’une conscience religieuse, les années s’écoulèrent tranquillement pour la famille exilée au milieu d’une prospérité négative. Les nouvelles du vieux monde ne parvenaient aux habitants de la plantation solitaire que lorsque les événements auxquels elles avaient rapport étaient oubliés partout ailleurs. Le tumulte et les guerres des colonies voisines ne venaient à leur connaissance qu’à des intervalles éloignés. Pendant ce temps les limites des établissements qui les environnaient s’étendaient graduellement, et les vallées commençaient à se défricher de plus en plus près des leurs. La vieillesse produisait peu à peu une impression visible sur la constitution de fer du capitaine, et les couleurs fraîches de la jeunesse et de la santé, qu’on voyait sur les joues de son fils lorsqu’il s’établit dans la forêt, étaient remplacées par le hâle que produisent l’exposition au grand air et le travail. Nous disons le travail, car indépendamment des habitudes et des opinions du pays, qui réprouvaient sévèrement la paresse, même dans ceux qui étaient favorisés par la fortune, les difficultés journalières de leur situation, la chasse, les longs et dangereux passages que le vétéran lui-même était souvent obligé de traverser dans la forêt environnante, justifient le terme dont nous nous sommes servis. Ruth était toujours éblouissante de fraîcheur et de jeunesse, quoique les anxiétés maternelles fussent venues promptement ajouter à ses autres causes de sollicitude. Pendant une saison entière aucun accident n’excita de vifs regrets parmi les exilés, sur la démarche qu’ils avaient faite, aucun ne donna de l’inquiétude pour l’avenir. Les habitants des frontières, car leur position dans le pays leur donnait droit à ce nom, apprirent l’étrange et terrible nouvelle du détrônement d’un roi, celle de l’interrègne, car c’est ainsi qu’un règne plein de vigueur et de prospérité est