Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/278

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femme leva vers le ciel ses yeux remplis de larmes ; elle étendit ses mains décolorées, et répondit :

— Je sais ce que tu voudrais faire… il n’est pas convenable que le sergent Ring s’attendrisse auprès d’une femme lorsque l’ennemi est dans les champs voisins de nos demeures ! Va remplir ton devoir, et fais avec le courage d’un homme ce qui doit être fait ! Cependant je voudrais que tu n’oubliasses pas combien il y a d’êtres qui n’ont d’autre appui que dans l’existence de leur père.

Le planteur jeta un regard autour de lui pour ne pas déroger à l’usage modeste des Puritains, et s’apercevant que la fille qui entrait accidentellement dans la chambre ne s’y trouvait point, il s’arrêta et posa ses lèvres sur la joue de sa femme, regarda ses enfants avec tendresse ; et plaçant son fusil sur son épaule, il descendit dans la cour.

Reuben Ring rejoignit la troupe de Dudley au moment où ce dernier venait de donner l’ordre de marcher au secours de ceux qui défendaient toujours vaillamment l’entrée méridionale du village ; tous les objets de nécessité n’étaient point encore transportés dans la forteresse, et il était de la dernière importance de protéger le hameau. Néanmoins cette tâche n’était pas aussi difficile que les forces des Indiens auraient pu d’abord le faire croire. Les maisons, les barrières et les bâtiments extérieurs eux-mêmes étaient autant d’ouvrages fortifiés, et il était évident que les assaillants agissaient avec une prudence et un accord qui annonçaient la présence d’un commandant plus habile que ne le sont ordinairement les sauvages.

La tâche de Dudley ne fut pas aussi pénible que celle qu’il avait déjà remplie ; les ennemis avaient cessé d’inquiéter sa marche, préférant surveiller les mouvements de ceux qui défendaient la maison fortifiée, dont ils ignoraient le nombre et dont ils craignaient les attaques. Aussitôt que le renfort atteignit le lieutenant qui défendait le village, ce dernier commanda la charge, et ses gens avancèrent en poussant de grandes clameurs. Quelques-uns chantaient des chansons spirituelles, d’autres élevaient leurs voix dans la prière, tandis qu’un petit nombre profitaient de leurs droits et faisaient usage d’un moyen au moins aussi efficace, en poussant des cris aussi effrayants que possible. Étant soutenu par des décharges de mousqueterie bien dirigées, cet effort fut récompensé par le succès. L’ennemi prit la fuite, laissant momentanément ce côté de la vallée à l’abri de tout danger.