Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/31

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d’une direction opposée. Pourquoi tourmenter ainsi les bestiaux lorsque l’œil du maître ne te voit pas ? Agis envers les autres comme tu voudrais qu’on agît envers toi ; c’est une bonne et juste maxime que le savant et l’ignorant, l’esprit fort et l’esprit faible, devraient souvent rappeler à leur pensée, afin de la mettre en pratique. Je ne sache pas que le poulain tourmenté devienne plus utile dans son temps que ceux qu’on traite avec douceur.

— Je pense que le malin esprit possède tous les veaux aussi bien que les poulains, répondit le garçon d’un air de mauvaise humeur. Je les ai appelés avec colère ; je leur ai parlé avec autant de tendresse que s’ils eussent été mes parents ; mais ni de belles paroles, ni des injures ne peuvent les amener à écouter mes avis. Il y a quelque chose d’effrayant dans les bois, ce soir, maître, car des bestiaux que j’ai conduits pendant tout un été ne se montraient pas aussi ingrats envers celui qu’ils doivent connaître pour leur ami.

— Les moutons sont-ils comptés, Mark ? dit le vieillard en se tournant vers son petit-fils avec un visage moins sévère, mais d’un air d’autorité ; ta mère a besoin de chacune des toisons pour te couvrir ainsi que les autres ; tu sais, enfant, que les animaux sont en petit nombre, et que nos hivers sont longs et rigoureux.

— Le métier de ma mère ne sera jamais sans ouvrage par ma négligence, répondit le jeune garçon ; mais mes comptes et mes souhaits ne peuvent pas faire trente-sept toisons, lorsqu’il y a seulement trente-six moutons qui retournent à la bergerie. J’ai été une heure parmi les ronces et les buissons de la montagne du logement[1], cherchant le mouton perdu, et cependant ni flocon de laine, ni corne, ni cuir, n’ont pu dire ce qui est arrivé à l’animal.

— Tu as perdu un mouton ! Cette négligence causera de la peine à ta mère.

— Grand père, je n’ai été ni paresseux ni négligent. Depuis la dernière chasse, on a permis au troupeau de brouter dans les bois, car aucun homme, pendant toute cette semaine, n’a vu de loup, de panthère ni d’ours, quoiqu’on ait fait une battue depuis la grande rivière jusqu’aux établissements qui sont en dehors de

  1. Lorsque dans les terres défrichées les arbres sont tombés, on les coupe à une longueur convenable, et on les réunit en piles afin qu’ils soient brûlés. Ce procédé est nommé loger (logging), et le champ sur lequel on entasse ces piles de bois est appelé le logement.