Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/334

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de produire même dans l’âme d’une personne aussi douce. Il était inutile de demander l’histoire de l’enfant dont les yeux étaient déjà fixés sur le visage de Ruth avec ce calme particulier qui rendait sa race si remarquable. C’était le regard brillant des yeux noirs de Conanchet, quoique affaibli par l’enfance ; c’était aussi le front plat et la lèvre comprimée de son père. Mais tous ces signes d’une origine indienne étaient adoucis par cette beauté qui avait rendu l’enfance de sa propre fille si touchante.

— Vois, dit Narra-Mattah en élevant l’enfant plus près des yeux de Ruth, c’est un sachem des Peaux Rouges ; le petit aigle a quitté son nid trop tôt.

Ruth ne put résister à l’appel d’une fille chérie ; courbant sa tête afin de cacher la rougeur de son visage, elle déposa un baiser sur le front de l’enfant indien ; mais l’œil jaloux de la jeune mère ne pouvait pas être trompé. Narra-Mattah s’aperçut de la différence qui existait entre cette froide caresse et les baisers si tendres qu’elle avait elle-même reçus ; un frisson glacé passa sur son cœur. Replaçant les plis de l’enveloppe avec une froide dignité, elle se leva, et alla tristement dans un coin de la chambre ; là elle prit un siège, et, jetant sur sa mère un regard qui exprimait presque le reproche, elle chanta d’une voix basse une chanson indienne pour son enfant.

— La sagesse de la Providence est dans tout ceci, murmura Content à sa compagne absorbée dans ses réflexions : si nous avions retrouvé notre fille telle que nous l’avions perdue, cette faveur eût été au-dessus de nos mérites. Notre fille est chagrine, parce que tu as regardé son enfant avec froideur.

Cet appel fut suffisant pour une mère dont les affections avaient été blessées plutôt que refroidies ; il rappela Ruth à elle-même, et dissipa les nuages dont le regret avait chargé son front. Le mécontentement ou, pour parler avec plus de justesse, le chagrin de la jeune mère fut facilement apaisé ; un sourire accordé à son enfant ramena rapidement le sang vers son cœur, et Ruth elle-même oublia bientôt qu’elle avait quelques motifs de regrets, en voyant la joie maternelle avec laquelle Narra-Mattah lui faisait admirer la force de son fils. Content fut trop promptement arraché à cette scène touchante ; on vint l’avertir que des personnes du village désiraient l’entretenir sur des affaires importantes pour la colonie.