Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/34

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lorsque l’étranger put embrasser d’un coup d’œil toute la plantation, ses doutes et ses craintes disparurent ; il dirigea son cheval hardiment et tranquillement devant lui ; enfin il tira une rène à laquelle un cheval maigre et fatigué obéit avec joie, et il s’arrêta à une faible distance du propriétaire de la vallée, dont les regards n’avaient pas cessé de surveiller les mouvements de l’étranger depuis le premier instant où il l’avait aperçu. L’inconnu, dont les cheveux commençaient à grisonner, par suite peut-être des fatigues qu’il avait essuyées, plutôt que par l’âge, et dont le poids eût été un pénible fardeau pour un animal de meilleure apparence que la pauvre bête sur laquelle il avait voyagé, l’inconnu descendit de cheval. Avant de parler il jeta la bride sur le cou penché du pauvre animal, qui sans perdre un moment, et avec une avidité qui décelait une longue abstinence, profita de sa liberté pour brouter l’herbe qui se trouvait autour de lui.

— Je ne crois pas me méprendre, dit l’étranger, en supposant que j’ai enfin atteint la vallée de Wish-ton-Wish ?

En prononçant ces mots, il porta la main à un chapeau de castor usé, aux bord rabattus, et qui cachait une partie de ses traits. Cette question fut faite dans un anglais qui annonçait que l’inconnu descendait d’une de ces familles qui habitaient les comtés du centre dans la mère-patrie, plutôt qu’avec cette intonation qu’on retrouve encore dans les parties occidentales de l’Angleterre et dans les États-Unis du Levant. Quelle que fût la pureté de son accent, il y avait dans son discours ce qu’il fallait pour annoncer une entière soumission à la mode des religionnaires de cette époque ; il faisait usage de ce ton méthodique et mesuré qui, suivant l’opinion étrange des sectaires, annonçait une absence totale d’affectation dans la manière de parler.

— Tu as atteint la demeure de celui que tu cherchais, de celui qui est un habitant soumis des déserts de ce monde, et un humble serviteur du temple extérieur.

— C’est donc alors Mark Heathcote ? répondit l’étranger en jetant sur le vieillard un regard attentif qui avait peut-être quelque chose de soupçonneux.

— Tel est le nom que je porte. Une confiance convenable dans celui qui sait changer les déserts en demeures habitées, de pénibles et nombreux travaux m’ont rendu maître de ce que tu vois. Soit que tu viennes ici pour passer une nuit, une semaine, un