Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/53

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Content était alors sur l’éminence même. Si Ruth respira pendant le temps que son mari mit à la parcourir, ce fut aussi doucement que l’enfant endormi dans son berceau ; mais lorsqu’elle vit qu’il avait échappé au danger et qu’il traversait avec sécurité le sentier, sur le côté, près des bâtiments, son impatience ne connut plus de bornes ; elle ouvrit entièrement la poterne, et renouvela ses cris d’une voix qui fut enfin entendue. Le bruit du pied d’un cheval non ferré devint de plus en plus rapide, et au bout d’une minute Ruth vit son mari qui arrivait auprès d’elle au grand galop.

— Entre ! dit Ruth accablée par ce qu’elle avait souffert ; et, saisissant la bride, elle conduisit le cheval dans l’intérieur des palissades. Entre, cher époux, pour l’amour de tout ce qui t’appartient entre, et remercie Dieu !

— Que veut dire cette terreur, Ruth ? demanda Content avec autant de sévérité qu’il pouvait en montrer à une créature aussi douce et pour une faiblesse qui prouvait son tendre attachement ; ta confiance dans celui dont l’œil ne se ferme jamais et qui veille sur la vie de l’homme comme sur celle de l’oiseau est-elle perdue ?

Ruth n’écoutait rien ; d’une main agitée elle ferma la porte, laissa tomber les barres, et tourna la clef qui forçait un triple pêne de sortir de la serrure. Jusque-là elle ne se croyait ni en sûreté elle-même ni libre d’offrir à Dieu ses remerciements pour la sûreté de celui sur les dangers duquel elle venait de ressentir de si affreuses angoisses.

— Pourquoi ce soin ? demanda Content ; as-tu oublié que le cheval souffrira de la faim à cette distance de l’écurie et du râtelier ?

— Qu’il meure de faim plutôt qu’un des cheveux de ta tête ne soit touché.

— Ruth, oublies-tu que c’est le cheval favori de mon père, et que mon père serait mécontent s’il savait que cet animal ait passé la nuit dans l’intérieur des palissades ?

— Mon cher mari, il y a quelqu’un dans les champs.

— Y a-t-il quelque endroit sur la terre où Dieu ne soit pas ?

— Mais j’y ai vu une créature mortelle, une créature qui n’a aucun droit sur toi et sur les tiens, et qui trouble notre paix non moins qu’elle attaque nos droits naturels en se cachant sur notre propriété.