Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/56

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— Tu rêves, Ruth !

— Ce n’est point un songe : j’ai vu les yeux brillants d’un sauvage. Le sommeil était bien loin de ma paupière lorsque je veillais sur toi. Je pensais que ton message était mystérieux, que notre père était bien avancé en âge, que peut-être ses sens avaient été trompés, et qu’un fils soumis ne devait pas être ainsi exposé. Tu sais, Heathcote, que je ne puis voir avec indifférence le danger du père de mes enfants, et je t’ai suivi jusqu’au noyer de la montagne.

— Jusqu’au noyer ! C’était imprudent à toi. Mais la poterne ?

— Elle était ouverte ; car si la clef avait été tournée, qui nous eût fait rentrer, dans un danger urgent ?

En prononçant ces paroles, Ruth sentait son visage se couvrir d’une rougeur excitée par le sentiment de sa faute.

— Si j’ai manqué de prudence c’était pour ta sûreté, Heathcote ; mais sur cette éminence, et dans le creux qu’a produit la chute d’un arbre, il y a un païen caché !

— J’ai passé près du bois de noyers en allant à l’étal de notre étrange boucher ; et en revenant j’ai tiré les rênes dans cet endroit, pour laisser respirer le cheval chargé d’un nouveau fardeau. Cela ne peut pas être, quelque animal des forêts t’aura trompée.

— Non, c’était une créature faite comme nous, et ressemblant en tout à nous-mêmes, excepté par la couleur de la peau et le don de la foi.

— C’est une étrange illusion ! Si les ennemis sont près d’ici, des gens aussi habiles que ceux que nous craignons souffriraient-ils que le maître de l’habitation, et, je puis le dire sans vaine gloire, un homme qui pourrait combattre aussi vaillamment qu’aucun autre pour défendre ce qui lui appartient ; souffriraient-ils qu’il échappât, lorsqu’une visite si inattendue dans le bois le livre entre leurs mains sans résistance ? Va, va, bonne Ruth, tu as vu le tronc noirci d’un arbre ; peut-être que la gelée a épargné une mouche luisante, ou peut-être encore qu’un ours a senti le parfum de tes ruches depuis peu dégarnies de leur miel.

Ruth posa de nouveau et avec fermeté sa main sur le bras de son mari, qui avait ôté un second verrou, et le regardant avec une vive impression, elle lui dit d’une voix touchante :

— Penses-tu, cher ami, qu’une mère puisse être trompée ?

Peut-être cette allusion à des êtres si jeunes et si chéris dont le sort dépendait de sa sollicitude, ou bien l’air sérieux et doux