Page:Copeau - Impromptu du Vieux-Colombier, 1917.djvu/19

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seul d’entre nous qui n’ait point le sentiment d’accomplir une tâche religieuse, qui pour se donner à elle et s’y sacrifier ne soit prêt à purger son cœur de toute petitesse et de tout égoïsme — que celui-là s’en aille ! Oh, mes enfants, comprenez-vous bien ce que nous sommes venus faire ici ? Sur cette terre où les nôtres jadis ont versé leur sang pour qu’elle fût libre, devant ce grand peuple qui donne aujourd’hui le sien pour la liberté du monde, qui depuis trois années n’a cessé de secourir notre patrie qu’il vénère, nous venons apporter la beauté de la France.

Gournac (après un temps)

Est-ce que vous n’avez pas confiance en nous ?

Copeau

Si, Gournac, si, en chacun de vous j’ai confiance, en vous qui êtes la loyauté même et l’ardeur au travail, en vous, ma chère Nau, qui avez été l’élève et la compagne d’Antoine, en vous, Vallée, et en votre jeune femme, parce que vous avez l’enthousiasme, et en vous, Dhurtal, les deux Bogaert, les nouveaux venus, les jeunes — pour mes anciens, je n’ai rien à leur dire. Mais, ce que je ne sais pas encore, c’est si, parmi ces hommes et ces femmes appelés à la même tâche, un esprit commun peut naître et grandir. Et voyez-vous, mes amis, tout est là : notre action n’aura point de force, notre art n’aura point d’âme, si vous ne savez pas vous fondre en un seul être brûlant d’une même flamme, sentant, comprenant, obéissant, aspirant d’un même élan. Depuis trois ans, je songe à cette minute où le rideau se déchirera devant nous, où nous serons de nouveau exposés au public. J’avais rêvé d’une longue et studieuse préparation. Et nous voilà une fois de plus mis en demeure de faire face à une tâche si grande que nos forces pourront à peine y suffire. J’avoue que cela me fait trembler.

Melle  Geoffroy

* Si cela vous faisait trembler, vous prendriez mieux vos précautions et n’auriez pas entrepris en huit jours ce que vous avez fait.

Nota : Le texte compris entre astérisques est de Molière.