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Page:Coppée - Œuvres complètes, Poésies, t2, 1892.djvu/287

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Mon pauvre Black et moi, que pour mourir de faim !
Pas un biscuit, pas un bidon dans la cambuse,
Comme sur le fameux radeau de la Méduse !…
Mais, abrégeons. Les bons récits sont les plus courts.
Pendant trois longues nuits et pendant trois longs jours
Notre canot flotta, balancé par la lame.
La faim grondante au ventre et l’angoisse dans l’âme,
Et perdant chaque jour l’espoir du lendemain,
Assis près de mon chien qui me léchait la main,
Sous le soleil torride ou sous la froide étoile,
J’attendis donc, sans voir apparaître une voile
A l’horizon fermant sur moi son cercle bleu.

Donc, le troisième jour, j’avais la gorge en feu
Et la fièvre, lorsque tout à coup je remarque
Que Black se rencognait dans un coin de la barque,
Qu’il avait l’air tout chose, et que son œil, si bon
D’ordinaire et si doux, luisait comme un charbon.

« Allons, mon vieux, lui dis-je, ici ! Qu’on te caresse ! »

Pas du tout. Il me lance un regard de détresse.
Je m’avance ; il recule et gronde entre ses dents,
Tenant toujours fixés sur moi ses yeux ardents,
Et veut happer ma main, que, d’instinct, je retire ;